Page:Soupé - Études sur la littérature sanscrite.djvu/103

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Ardjouna, enfin sa propre liberté. Toute cette scène est dépeinte de la façon la plus pittoresque et la plus expressive. Sakouni lui fait remarquer froidement qu’il lui reste un objet précieux à risquer : la princesse de Pantchâla, la belle Draupadi, son épouse ; et il joue son épouse, et il la perd, et les anciens du peuple se voilent la face en murmurant devant un acte si sacrilège. Draupadi appartenait dès lors à Douryôdhana, qui l’envoie prendre par son cocher : ce n’est plus une femme, c’est une chose qui revient à quiconque l’a gagnée. Les cheveux épars, à demi-vètue, les yeux pleins de larmes, frémissant de colère et de honte, elle paraît au milieu de la salle ; traînée de force, elle se débat contre Douçâsana, le second des cent Courâvas, qui la pousse durement et veut lui arracher ses derniers voiles. Encore un effort, et elle va être exposée nue aux regards et aux affronts de la multitude. Sa pudeur indignée sollicite et obtient du ciel un miracle : elle invoque tous les dieux, et les dieux l’enveloppent aussitôt d’un vêtement cent fois replié, qui s’allonge à mesure qu’on le déroule, à mesure que l’infâme tente de l’arracher. La plupart des assistants tressaillent d’admiration et de joie, et Bhimaséna, cet autre Ajax, qui a même parfois le farouche emportement des Huns ou des Vandales, médite une légitime vengeance :

Soudain, ce héros à la voix terrible maudit le coupable au sein de cette réunion royale ; les lèvres crispées de rage et choquant avec force ses deux mains ensemble, il s’écria : « Guerriers de ce pays, souvenez-vous bien de mes paroles ; si, les ayant prononcées, je ne les accomplissais point, je consens à n’aller jamais rejoindre mes ancêtres : ce criminel, ce fou, ce méchant, qui souille notre race, je lui fracasserai la poitrine dans les combats, et je m’enivrerai de son sang ! »

Tableau imposant, qui associe la pudique Draupadi au violent Bhimaséna et tous les charmes de l’innocence à tous les excès de la barbarie ! Quel dommage que cette poésie soit sans frein et sans mesure ! Par endroits et par éclairs, elle