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218 ÉTUDES SUR LA LITTÉRATURE SANSCRITE.

où les amants luttent sans cesse de désirs et de voluptés. Ces riants tableaux font place à des souvenirs plus intimes : le malheureux dépeint, non sans grâce, sa maison, son jardin, les étangs aux escaliers pavés d'émeraudes, les monticules artificiels formés d'un amas de saphirs et entourés d'une haie de bananiers d'or, les berceaux où poussent des plantes mer- veilleuses, les colonnes ta bases de cristal. Mais ce paysage éblouissant ne serait rien sans celle qui en est le centre et qui y répand la joie et la vie :

« Alors, dit l'époux fidèle, si tu rencontres quelque part une jeune dame aux formes délicates, au teint bleuâtre, aux dents colorées de carmin, aux lèvres fraîches, à la taille déliée, aux yeux de gazelle effarouchée, dont la démarche soit ralentie par le poids gracieux de ses flancs, dont la poitrine soit attirée en avant par la lourdeur de ses seins, une femme qui soit en un mot le chef- d'œuvre du Créateur; c'est la femme sobre de paroles, la seconde moitié de mon âme ! Faible enfant, éloignée de son mari et consu- mée par les soucis les plus violents, elle languit sans doute par ces jours si pesants, comme l'oiseau séparé de son compagnon, comme le lotus dont la gelée a fané la corolle. Sans doute, la tète appuyée sur sa main, les yeux rougis par d'abondantes larmes, le coloris de ses lèvres terni par de continuels soupirs, le visage ombragé par les touffes pendantes de ses cheveux, ma bien-aimée s'éclipse, ô nuage, ainsi que la lune, quand tu viens cacher une partie de son disque lumineux. »

On voit que sur cette terre de l'Inde, où a presque toujours régné la polygamie, l'amour pourtant, et même l'amour conju- gal, était retracé avec d'assez vives couleurs. Les stances sui- vantes, ainsi que dans beaucoup d'autres poëmes sanscrits, nous apprennent que les femmes indiennes, réputées si es- claves, si ignorantes et si malheureuses, cultivaient tous les arts et ne restaient étrangères à aucun raffinement intellectuel. Celle-ci nous est représentée, dessinant de souvenir les traits de son mari, s'entretenant de sa douleur avec les oiseaux qu'elle élève, chantant un hymne plaintif en l'honneur de l'absent, arrosant son luth de ses larmes, oubliant, à chaque minute,

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