Page:Soupé - Études sur la littérature sanscrite.djvu/23

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

de Manou ou l’Hitopadésa, le Bhâgavad-Gîtâ ou Sakountâla, c’était tout un et, quant à l’intervalle de cinq ou six siècles qui pouvait les séparer, on n’y regardait point de si près. Certains critiques, tels que Niebuhr, réservaient prudemment leur opinion pour le moment où la lumière se ferait au sein d’un tel chaos ; mais beaucoup d’autres, plus aventureux, de quelques fables du Pantcha-Tantra, de quelques morceaux épiques de Kâlidâsa, de quelques scènes dramatiques de Bhavabhoûti, tiraient des inductions précipitées et des conclusions excessives. Ajoutez à ces causes diverses l’attrait de la nouveauté et le hasard des découvertes. Combien de compositions médiocres furent exhumées, tandis que des œuvres importantes étaient laissées en oubli ! Mais enfin, après beaucoup de temps perdu dans une voie douteuse, les philologues trouvèrent le véritable chemin : ils reconnurent qu’il existait pour les Indiens une autorité primitive à laquelle se rapportaient toutes leurs connaissances saintes ou profanes, une base solide sur laquelle reposait tout ce qu’ils avaient édifié en fait de théologie et de philosophie, d’astronomie et de jurisprudence, de poésie et de grammaire, et que cette autorité, cette base, c’étaient les Védas.

Les Védas forment un ensemble considérable : ils sont loin encore d’être connus dans toutes leurs parties, surtout dans tous leurs appendices. Voilà pourtant près de deux cents ans que la première notion en a circulé en Occident. Sous Louis XIV déjà, en 1668, le voyageur Bernier, cet élève de Gassendi, ce condisciple de Molière, avait trouvé les Védas à Bénarès sans pouvoir les acheter : au siècle suivant, le jésuite Pons, habile missionnaire, les voyageurs Dow et Hohvell les avaient vus également ; mais, bien qu’aidés par plusieurs panditas ou lettrés indigènes, ils n’avaient pas réussi à percer les ténèbres dont ils étaient alors enveloppés. C’est vers ce temps qu’eut lieu la singulière mystification dont Voltaire fut, non pas l’auteur, mais la victime. Le spirituel railleur était en un point facile à duper ; il suffisait, pour lui ôter son