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-271 ÉTUDES SUR LA LITTÉRATURE SANSCRITE.

l'opulent Tchâroudatta et qui a le mérite d'être demeuré fidèle à sa mauvaise fortune, tâche en vain de le consoler. Où sont les mets embaumés, les fruits confits dont il se nourrissait à cette table hospitalière ? A présent, pareil au pigeon appri- voisé, il erre de foyer en foyer afin d'y recueillir les miettes des festins ; néanmoins il ne cesse de revenir sous le toit de son compagnon, et il l'admire en le voyant faire dévotement aux dieux domestiques l'humble offrande de quelques grains de riz. Tchâroudatta a une épouse et un fils appelé Rohaséna ; mais, tout probe et tout loyal qu'il est, il ne peut s'abstenir de déplorer les inconvénients de l'indigence, qui, a ce qu'il paraît, étaient aussi fâcheux aux bords du Gange que sur les rives de la Seine et aussi durs à subir il y a dix-sept cents ans qu'aujourd'hui :

L'homme, dit-il, qui de l'opulence passe à la pauvreté, quoiqu'il ait encore la forme humaine, n'est plus cependant qu'un corps ina- nimé... Si j'en avais le choix, je préférerais la mort: mourir est une souffrance passagère ; être pauvre est un tourment sans lin... On peut m'en croire ; ce n'est pas pour moi que je regrette mes anciennes richesses: que les hôtes ne frappentplus ace seuil d'où L'abondance a fui, voilà ce qui m'afflige... Suivant les décrets du destin, la prospérité va et vient; mais je gémis de voir que les nœuds de l'amitié soient rompus parce qu'un homme est pauvre; oui, de la pauvreté dérivent la déconsidération, la perte de l'indé- pendance, le mépris, le chagrin, l'affaissement de l'intelligence. la chute de tout notre être ;de la pauvreté découlent tous les maux de l'Humanité.

Étant tombé si bas, il n'est nullement à l'abri ni des tenta- tions ni des hasards ; en un instant, sa vie va être transfor- mée. On est au soir : la route royale de la ville, ce que nous appellerions la grande rue, est pleine de promeneurs, de gens ivres, de seigneurs désœuvrés, de femmes légères. Une d'entre elles, Vasantasénà, dont le nom harmonieux signifie ['Année du printemps , apparaît précisément en brillant cos- tume, parée d'une guirlande de fleurs et portant au bas des jambes des cercles d'argent garnis de grelots sonores. Elle est

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