Page:Soupé - Études sur la littérature sanscrite.djvu/85

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pada : celui-ci étant arrivé au trône, il avait revendiqué vis-à-vis de lui les droits de leur ancienne confraternité. Mais, hélas ! dans l’Inde comme ailleurs, jadis comme aujourd’hui, le temps effaçait bien des souvenirs, brisait bien des liens, et le monarque avait répondu fièrement aux avances du prêtre :

Non, non, Brâhmane insensé, entre les rois qui sont placés si haut et les hommes de ton espèce sans crédit et sans opulence, il n’y eut jamais d’amitié. Dans la mémoire de celui qui vieillit, les sympathies s’altèrent avec l’âge ; notre première liaison tenait à l’égalité de notre position. Ici-bas, il n’existe nulle part d’amitiés impérissables : le temps les corrompt ou la haine les détruit… Les pauvres ne sont pas des amis pour les riches, ni les ignorants pour les savants, ni les hommes faibles pour les héros ; que signifient les inclinations d’autrefois ? L’amitié, l’intimité se rencontrent entre ceux qui ont même richesse ou même instruction, et non pas entre celui qui a conquis une situation considérable et celui qui est resté à une place inférieure.

Un tel dédain de la part d’un monarque envers un Brâhmane était un vrai sacrilège et un phénomène rare dans la société hindoue. Blessé de cet accueil hautain de son compagnon d’enfance, Drona devint dès lors son ennemi personnel et alla chercher fortune à la cour d’Hastinapoura, où, en revanche, on le combla de présents et d’égards. Les nombreux élèves qui lui furent confiés accomplirent de brillants progrès en tout genre ; il eut l’idée fatale de les mettre aux prises dans un grand tournoi, qui devait donner carrière à leur courage et à leur adresse, mais qui fit éclater l’inimitié profonde dont ils étaient mutuellement animés. Là se déroule toute une série de scènes qui font songer aux descriptions homériques ou aux récits chevaleresques de notre moyen âge. Que de fois les poètes, Virgile, Stace et tant d’autres, ont renouvelé ce lieu-commun épique ! On élève un vaste amphithéâtre, dont les gradins sont envahis par une foule de prêtres et de guerriers, de marchands et de gens du peuple :