Page:Soupé - Études sur la littérature sanscrite.djvu/92

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effroyable de ces deux géants : à la longue, ils se réveillent et s’empressent d’accourir à l’aide de leur frère. Il repousse leur assistance, de même qu’il a repoussé les secours mystérieux de la fée ; non pas trois fois, comme dans la fable d’Alcide et d’Anlée, mais jusqu’à cent fois de suite, il terrasse Hidimba ; puis, malgré ses rugissements, il saisit entre ses bras ce nouveau Cacus et le déchire par le milieu du corps. Les Pândavas reprennent leur chemin, délivrés et triomphants ; la sœur du monstre qui vient d’être immolé s’attache à leurs pas. Le rude Bhîmaséna, insensible à son ardeur et à son dévoûment, ne songe qu’à la renvoyer ; l’équitable Youdhichthira intercède en sa faveur ; elle-même adresse à la mère des Pândavas ces paroles, empreintes d’une sensibilité dont nous n’aurions jamais cru les ogresses capables :

Vénérable femme, tu sais combien ici-bas l’amour tourmente notre sexe : j’en suis là vis-à-vis de Bhîmaséna. Espérant un temps meilleur, je me suis résignée à ces tourments : voici l’heure où mes rêves pourraient s’accomplir ! J’ai trahi mes parents, mes amis, mes devoirs ; j’ai choisi pour époux ce héros qui est ton fils ; si je suis rebutée par lui ou par toi, glorieuse mère, assurément je ne pourrai survivre. Aie compassion de moi. Je suis insensée peut-être ; mais, fallût- il être ta suivante, ta servante, bienheureuse Kountî, laisse-moi l’emmener où je voudrai, ce guerrier aussi beau que les dieux, et je le ramènerai vers vous ; crois-en mes serments. De cœur et de pensée, je vous suivrai toujours et partout ; dans les moments difficiles, dans les chances les plus diverses, je veillerai sur vous.

Un daigne conclure avec elle un pacte ; à condition qu’elle ramènera son amant dans un court délai, on lui permet de partir avec lui, et le bouillant Bhîmaséna, non sans résistance, la suit derrière les montagnes, au sein d’une retraite délicieuse où elle jouit rapidement d’un bonheur bien éphémère, où elle épouse son esclave indocile, où elle lui donne un enfant, Ghadôtkatcha. À l’instant fixé, la fée abandonne en gémissant sa douce paix et le guerrier, semblant sortir d’un songe, revient en toute hâte vers les siens. Que