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À CÔTÉ DU PARNASSE

comme une opinion son acharnement contre Scribe, ou sourire de ses imprécations ? Clair Tisseur, tout en souriant, démolit à fond ce Traité surfait, et qui n’est qu’un tissu de contradictions entre les théories de Banville et sa pratique[1]. Après avoir rappelé le court chapitre sur l’inversion, « il n’en faut jamais », Tisseur énumère un certain nombre des innombrables inversions que se permet Banville[2]. Même faiblesse pour l’idée-mère du Petit Traité : on sait les exigences du poète sur la rime, sur l’importance du mot placé à la fin du vers, sur la rime millionnaire, etc.[3] ; on connaît sa formule tranchante : « la Rime est l’unique harmonie du vers, et.elle est tout le vers[4] ». On sait enfin que pour Banville il n’y a pas de rime, par conséquent pas de vers sans la consonne d’appui : comme exemple, il cite ce distique de Boileau :


Si je veux d’un galant dépeindre la figure,
Ma plume pour rimer trouve l’abbé de Pure ;


puis, il conclut : « Boileau mourut sans s’être douté que pour rimer exactement avec figure, il aurait fallu écrire non pas l’abbé de Pure mais l’abbé de Gure[5] ! » Banville ne met qu’un point d’exclamation, mais nous pourrions en ajouter toute une série, car, dans Les Exilés, le même Banville ne voit aucun inconvénient à écrire :


Dieu, nous plaignant, voulut qu’elle prît la figure
D’une vierge donnant au ciel son âme pure[6].


Ce n’est guère sérieux. À quoi bon formuler des règles si absolues que leur inventeur lui-même ne peut pas les appliquer ? Il y tient si peu du reste que, en 1881, il souhaite au vers romantique, qui a déjà délivré la poésie des entraves classiques trop étroites, un peu plus de liberté encore, quelque chose qui le rapproche de la poésie populaire ; il regrette que V. Hugo n’ait pas affranchi plus complètement l’alexandrin français[7].

La réfutation de toutes ces contradictions, de ces paradoxes, de ces sornettes, de cette aberration sur la façon de triturer les vers, est dans une page de Théophile Gautier écrite quelques quinze ans auparavant : « la poésie n’est pas un état permanent de l’âme.

  1. Clair Tisseur, Modestes Observations, p. 118.
  2. Id., ibid., p. 251-252.
  3. Id., ibid., p. 152, 205-206.
  4. Petit Traité, p. 47.
  5. Petit Traité, p. 57.
  6. Siciliano, Dal Romanticismo, p. 299, note.
  7. Critiques, p. 259-260.