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HISTOIRE DU PARNASSE

Est-ce là l’opinion de Leconte de Lisle ? Il éprouve au début pour Glatigny une de ces sympathies qu’il ne prodigue pas. Il accepte la dédicace des Flèches d’Or : « à mon cher et illustre maître, Leconte de l’Isle ». (sic.) « Illustre » est incontestable ; « cher » est douteux ; Calmettes dit, de façon très heureuse : « à cet enfant perdu du lyrisme, la compagnie d’un génie hautain devait paraître sévère[1] ». Glatigny, en effet, ne porte pas dans son cœur le cher maître ; son affection va à son vrai patron, Banville ; de Bayonne, où il vient de lire un numéro de la revue La Renaissance, il lui écrit, le 9 octobre 1872, une lettre très documentaire sur ses sentiments, et sur ceux de Banville, à l’égard du Maître : « j’ai encore la stupeur de Jocrisse sur la figure en songeant à Leconte de Lisle. Les vers de La Renaissance m’ont épaté. Qu’eut-il (sic) voulu faire ? Donner une leçon à Corneille ? Oui, pourquoi faire parler Chimène comme un bon Dieu des poèmes barbares ?… Puis, c’est trop confesser le néant de son imagination. Je n’en suis pas encore revenu[2] ». Cela prouve deux choses : Glatigny, ne connaissant pas le Romancero comme Leconte de Lisle, n’a rien compris à La Ximena, et il en déteste l’auteur[3]. Trois mois après, il revient à la charge, s’attaquant cette fois au caractère même du poète des Érinnyes : après les avoir critiquées, il se retourne contre l’auteur : il fait allusion à une de ces exécutions nécessaires, qui maintenaient le Parnasse dans la voie droite, probablement celle de Verlaine : « ce qui me vexe, c’est de voir Leconte de Lisle renier les parnassiens… C’est le Parnasse qui a fait connaître Leconte de Lisle au public. En reniant ses amis dont l’humilité le fait sourire, il me rappelle Ambroise Thomas regrettant d’avoir signé Le Caïd, parce qu’il vient de vesser au pied d’Hamlet. Ce qui me conduit à vous dire que je reste parnassien, fidèle à mes amitiés dont vous êtes la plus sacrée et la plus solide. J’aimerais mieux brûler tous mes vers (et j’y tiens à mes vers, f…e !) que de m’isoler ainsi dans mon orgueil[4] ». Il dut confier cette impression à un indiscret, car Leconte de Lisle,

  1. Calmettes, p. 251.
  2. Mercure de France, 15 avril 1923, p. 392.
  3. Poèmes tragiques, p. 229. Cette lettre rectifie une erreur dans le travail, excellent par ailleurs, de G.-H. Lestel, Revue, 1925, p. 133.
  4. Lepelletier, Verlaine, p. 281, 318, 373 ; Calmettes, Leconte de Lisle, p. 279 ; Mercure de France, 15 avril 1923, p. 396. Le 16 janvier 1873, Glatigny dit qu’il a trouvé ce renîment des parnassiens par Leconte de Lisle « dans Le Gaulois d’hier ». J’ai parcouru Le Gaulois du Ier au 16 janvier sans y trouver le renîment annoncé quoique le journal parle de l’auteur des Érinnyes le 8, le 14 et le 15 janvier.