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HISTOIRE DU PARNASSE

Heureusement le philosophe est poète. Il publie, en 1855, des pièces symboliques, où nous retrouvons ses principales idées revêtues de poésie comme d’une panure guerrière. Ses vers n’attirent pas tout d’abord l’attention : Ménard, comme artiste, est ignoré[1]. Il s’en rend bien compte, et ne se fait aucune illusion sur les destinées de son livre : « il est d’usage, parmi les poètes, de répondre à l’indifférence toujours croissante du public pour les vers par une préface sur les destinées de la poésie… Je publie ce volume, qui ne sera suivi d’aucun autre, comme on élèverait un cénotaphe à sa jeunesse… Si, contre mon attente, la critique jette les yeux sur mon livre, elle peut à bon droit le considérer comme une œuvre posthume ». Vers la fin de sa vie, il ajoute cette autre ironie : « mon attente n’a pas été trompée : la critique a gardé le silence sur mon livre[2] ». Elle était peut-être un peu gênée sous l’Empire, par ses audaces politiques ; c’est un livre de combat. Un de ses héros, Cremutius Cordus, exprime toutes les rancœurs du poète contre Napoléon III[3]. Quand Ménard parle en son propre nom, il est encore plus téméraire : il dénonce l’union du trône impérial et de l’autel, en généralisant, par un reste de prudence : « comme le réel est le miroir de l’idéal, les formes politiques répondent aux idées religieuses. Les hiérarchies célestes se traduisent par les castes, le monothéisme par la monarchie, le polythéisme par la république[4] ». Et c’est pourquoi, étant républicain, il tient pour le polythéisme grec. Il croit à la vie des dieux, à leur mort, à leur résurrection comme à celles du Christ. Il admet une renaissance des dieux[5].

Mais, quand un philosophe se met à écrire en vers, il y a quelquefois des flottements dans sa doctrine : après avoir affirmé, en prose, que les dieux sont vivants, il semble, dans son Hellas, ne plus voir en eux que des symboles :


Dieux heureux qu’adorait la jeunesse du monde,
Que blasphème aujourd’hui la vieille humanité,
Laissez-moi me baigner dans la source féconde
Où la divine Hellas trouva la vérité.


  1. Ricard, Le Petit Temps, 2 juillet 1899.
  2. Poèmes, préface, p. 1, xxxii ; Berthelot, Ménard, p. 22.
  3. Poèmes, p. 232.
  4. Préface des Poèmes, p. xxvii.
  5. Ibid., p. xxvi-xxvii.