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LE PARNASSE

tive constate que le poème chrétien des Chants populaires est devenu anti-chrétien dans les Poèmes Barbares[1]. De même pour L’Apothéose de Mouça al Kébir[2].

Plus Leconte de Lisle s’approche des époques connues, plus il quitte la légende pour l’histoire, et plus le contraste entre la beauté des vers et la fausseté des idées devient pénible. Son moyen âge est consternant. Il en écrit l’histoire en collaboration avec son farouche ami Marras[3]. Il condense cette histoire dans son discours à l’Académie, sans la moindre nuance académique : « les noires années du moyen âge, années d’abominable barbarie, qui avaient amené l’anéantissement presque total des richesses intellectuelles héritées de l’antiquité, avilissent les esprits par la recrudescence des plus ineptes superstitions, par l’atrocité des mœurs, et la tyrannie sanglante du fanatisme religieux[4] ». C’est avec cette conviction au cœur que Leconte de Lisle entreprend, dans une série d’émaux cloisonnés, la reproduction plastique du moyen âge catholique : on remarque surtout les paraboles de dom Guy, Hieronymus ; l’esprit en est tel que son panégyriste habituel risque timidement une réserve : « le poète ne tient pas à être impartial[5] ». Nous oserons aller plus loin, et dire : c’est l’évangile selon saint Homais. La haine du poète tourne à la rage ; il se dépasse lui-même : jadis il avait écrit, dans La Démocratie pacifique, un article, déjà furibond, contre la pitié, la charité, l’aumône, s’appuyant sur une anecdote : « à l’époque la plus sombre du moyen âge, une noble dame avait voué sa vie et ses richesses au soulagement des pauvres. Ses plus belles années et sa fortune tout entière s’écoulèrent en aumônes. Elle avait tout donné ; elle n’avait rien guéri. Le désespoir la saisit. Elle convoqua tous ses pauvres dans une église, et s’y brûla avec eux. Cette histoire contient une vérité : c’est qu’à l’aide de l’aumône on ne sort de la misère que pour entrer dans la mort[6] ». Et voilà la genèse d’un acte de charité : seulement la pensée de Leconte de Lisle s’est encore durcie : la dame ne se brûle plus avec ses

  1. Vianey, Les Sources, p. 149-154.
  2. Vianey, ibid., p. 225 sqq. ; Martino, Revue de Littérature comparée, octobre 1921, p. 600-618.
  3. Calmettes, p. 149.
  4. Derniers Poèmes, p. 281.
  5. Dornis, Essai, p. 220.
  6. M. A. Leblond, Leconte de Lisle, p. 203.