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LE PARNASSE

— Et quel sonnet ! Avec quel art le poète a pris sur la palette du voyageur les couleurs qu’il lui fallait pour transformer un souvenir de la première Bucolique, et pour amener le vers final, aboutissement original, merveilleux :


Vois la mer, et l’Eubée, et, rouge au crépuscule,
Le Callidrome sombre et l’Œta, dont Hercule
Fît son bûcher suprême et son premier autel ;

Et là-bas, à travers la lumineuse gaze,
Le Parnasse, où, le soir, las d’un vol immortel,
Se pose, et d’où s’envole, à l’aurore, Pégase !


En bonne règle, Heredia aurait dû remercier le guide qui lui avait si bien indiqué le panorama de l’Othrys, et M. Gaston Deschamps aurait pu témoigner sa reconnaissance au poète qui l’associait à un chef-d’œuvre. Dans une chronique qu’avaient parcourue d’un œil indifférent des milliers de lecteurs, seul Heredia avait discerné la splendeur vraie d’un paysage de Grèce. C’est ainsi que quelques sonnets révèlent aux pauvres lettrés emprisonnés sur leur sol la beauté qu’ils ne peuvent aller contempler sur place, et dont ils trouvent ici l’image fidèle. Au cours d’un voyage en Grèce, lisant Les Trophées à Olympie devant les ruines du temple de Zeus, M. Paul Bourget reçoit un choc : « j’éprouvai cette émotion singulière de retrouver, traduite en vers qui s’adaptaient exactement à la beauté des choses, le frisson même dont j’étais rempli… Les vers que je lisais, et le tableau que je contemplais, s’harmonisaient d’une manière telle qu’entre les rêves des sculpteurs hellènes, et l’évocation du poète d’aujourd’hui, malgré toutes les différences de la matière employée, — ici la pierre taillée d’un ciseau primitif, là une langue savante jusqu’au plus subtil artifice, — l’identité était presque complète ». Pour réaliser pareil miracle, il fallait à la fois une méthode de travail et une doctrine d’art : Heredia réconcilie la science et la poésie ; il voit dans la science une route pour arriver à la poésie[1]. La science seule ne suffit pas : il y faut encore une divination géniale. En effet, Heredia a retrouvé la beauté latine jusque dans l’Épigraphie de Luchon, de Julien Sacaze, feuilletée dans l’ennui de la vie d’hôtel ; la restitution de trois ins-

  1. Essais de Psychologie contemporaine, II, 122-125. Sur son admirable précision dans le plus petit détail, cf. Fernand Charpentier, Revue des Études Grecques, 1927, numéros 184-188, p. 311-319.