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LE DISPERSION

vrais artistes : quinze ans après, Albert Samain lui adressait une lettre en vers, en vers dignes des deux poètes :


J’aime vos vers comme un fou.
Ils ont en eux quelque chose
De si poignant et de si doux !
Je vous dirais bien, mais je n’ose :
— Avec quoi donc les faites-vous ?…
Oh ! le doux Passant qui chemine
Le cœur plein de tendres chansons[1].


Certes, quelques Parnassiens se réjouissent. Sully Prudhomme, qui ignore les petitesses, écrit à son ami triomphant avec une nuance de considération : pour lui, Coppée n’est plus un homme qu’on présente, mais un homme à qui on se fait présenter[2]. Ménard est franchement content, pour Coppée, et pour le Parnasse[3]. Verlaine remarque lui aussi, qu’il faut être fier du succès du camarade : Le Passant est le succès de toute l’École, puisqu’il fait, pour la première fois, « entendre sur les planches la langue renouvelée que nous apportions[4] ». C’est de l’orgueil intelligent, c’est habile ; mais il y a mieux : le soir de la première, à la chute du rideau, Lemerre, entouré de tous ses auteurs, agite triomphalement une plaquette, Le Passant, déjà imprimé : ils se massent à la sortie, et quand, au sommet du grand escalier menant au premier étage, ils aperçoivent Coppée qui descend tout pâle encore de son succès, ils lui font une ovation[5]. Puis ils se remettent au travail avec une nouvelle ardeur ; Theuriet trahit le secret de la corporation : « tous, peu ou prou, nous ruminions en secret l’acte en vers qui nous ouvrirait toutes grandes les portes de la notoriété[6] ! » C’est de l’émulation, et c’est très bien ; malheureusement l’émulation qui échoue se change vite en envie.

Il y a au Parnasse, à l’extrême gauche, un groupe de purs, qui commencent à détester sérieusement le trop heureux poète ; Coppée les décrit dans sa biographie romancée, où ils figurent sous ce nom : les Chevelures Lyriques ; leur centre est au « Café de Séville ». Quand Amédée Violette entre, les Chevelures acclament l’auteur

  1. Correspondant du 25 août 1925, p. 527.
  2. Monval, Correspondant du 25 septembre 1927, p. 825.
  3. Mme Adam, Mes Sentiments, p. 341.
  4. Verlaine, Œuvres, V, 140.
  5. Theuriet, Souvenirs, p. 266.
  6. Ibid., p. 272.