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LE DISPERSION


La vie humaine, au soir, sans rayon ni flambeau,
Se traîne en tâtonnant jusqu’à la froide couche
Où la Mort, appuyant son doigt sur notre bouche.
Nous endort dans la nuit sans astres du tombeau.


Jeune, Theuriet avoue qu’il se répétait ses strophes de débutant, sans vergogne, « comme le loriot qui n’a que trois notes, et qui les redit sans se lasser ». M. Paul Bourget lui répond, le 9 décembre 1897, à l’Académie : « Beaucoup de savantes orchestrations, dont le bruit nous a étourdis des années, seront oubliées, alors que les amoureux de la poésie continueront d’écouter à travers vos œuvres les trois notes exquises de l’oiseau chanteur de Lorraine ». Malice académique, visant le Parnasse, et peut-être Leconte de Lisle.

On serait tenté d’adresser le même compliment à Gabriel Vicaire. Il est fort bien accueilli par le Comité ; Banville trouve ses vers « nets, francs, d’une originalité vraie ». France va jusqu’à l’enthousiasme narquois : « Oui, oui. Il est Bressan, et il y paraît. C’est un poète plein de saveur ». Coppée acquiesce : « de la saveur ». On lui attribue douze pages quand Leconte de Lisle en a tout au plus dix-sept. En dehors du Comité, même admiration. Le jaloux Valade est ému[1]. Leconte de Lisle lui-même fait bon accueil au poète, d’abord très soumis ; mais il ne lui fait pas obtenir un prix à l’Académie[2]. Aussi Vicaire déçu juge-t-il l’École de très haut, sans excès de reconnaissance : « Le Parnasse a eu du bon… À vouloir y séjourner toute sa vie, ou risquerait fort de s’encroûter. Mais ceux qui ont su n’y rester que juste le temps nécessaire…, ceux-là se sont parfaitement trouvés de leur séjour dans cette espèce de maison centrale de la poésie contemporaine. C’est là, en effet, qu’on apprenait à faire le vers à peu près comme les forçats apprennent à sculpter des noix de coco ; quand on avait fait son temps, on était devenu un excellent ouvrier, et on avait un bon outil dans les mains… Tous ceux qui avaient vraiment du talent, et quelque chose sous la mamelle gauche, ont vite fait sauter le couvercle de la marmite où on les laissait mitonner, et n’ont gardé de leurs débuts qu’un grand souci de la forme et une aptitude remarquable à rimer. C’est quelque chose[3] ». Malgré sa mauvaise humeur et ses

  1. Bourget, Quelques Témoignages, p. 242-243.
  2. Lettres de Vicaire à Coppée, publiées par Monval dans Le Correspondant du 25 novembre 1925, p. 589-591.
  3. J. Monval, Correspondant du 25 novembre 1925, p. 582-583.