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sophie kovalewsky.

entourent, on n’entend que cette voix intérieure, plus forte que le bruit des cascades ou de l’ouragan sur la mer. Pour moi le désappointement fut grand. Je continuai cependant mon voyage avec un compagnon de route rencontré par hasard ; je fis une visite à Kielland, et revins par l’est assister à une fête à l’école supérieure populaire de Sagatun. Sophie eût joui de cette excursion autant que moi, si elle avait eu sa liberté intérieure. Bien des fois je fus témoin de traits de ce genre : au milieu de la conversation la plus animée, dans une excursion ou une soirée, occupée en apparence de son entourage, elle tombait soudain dans un profond silence, son regard devenait rêveur, ses réponses distraites. Aussitôt, elle prenait congé, et rien ne pouvait la retenir, ni prières, ni rendez-vous antérieur, ni égard pour les personnes présentes.

J’ai d’elle un petit billet du printemps de la même année, très caractéristique sous ce rapport : nous étions convenues de faire une excursion en voiture dans les environs de Stockholm, avec deux autres personnes ; au dernier moment elle s’excusa, et m’écrivit l’explication suivante :


« Chère Anne-Charlotte, ce matin je me suis éveillée avec le plus grand désir de m’amuser ; tout à coup m’arrive mon grand-père du côté maternel, le pédant allemand — c’est-à-dire l’astronome, — il examine les savantes dissertations que je m’étais promis d’étudier pendant les vacances de Pâques, et me fait les