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ce qui fut, et ce qui aurait pu être.

roman, je ne pourrais l’écrire sur le plan d’autrui, car la personnalité de l’auteur est beaucoup plus en jeu dans le roman que dans le drame. »

Le 10 février, j’écrivais :

« Sonia déborde de joie en voyant la tournure que prend notre vie ; elle prétend comprendre maintenant comment un homme peut toujours s’éprendre à nouveau de la mère de son enfant. Car je suis naturellement la mère, puisque c’est moi qui dois mettre l’enfant au monde ; et elle se montre si passionnée, que la seule vue de ses regards brillants me fait plaisir. Je ne crois pas que deux femmes se soient jamais plus amusées ensemble, et je crois bien que nous sommes le premier exemple, dans la littérature, de deux collaboratrices. Jamais je n’ai éprouvé autant d’enthousiasme pour une idée que cette fois. Aussitôt que Sophie m’eut communiqué son plan, j’en fus frappée comme de la foudre. Oui, ce fut une véritable explosion ; elle me le raconta le jeudi 3 : c’était un plan de roman dans un milieu russe. Après son départ, je passai la nuit dans l’obscurité sur mon rocking-chair, et avant de me mettre au lit le drame était presque fait dans ma pensée. Vendredi je causai avec Sophie, samedi je commençai à écrire, et maintenant toute la première pièce, cinq actes avec prologue, est écrite de premier jet ; ainsi en cinq jours, en y employant seulement une couple d’heures par jour, car on ne peut travailler longtemps avec cette furie. Jamais je n’ai rien fait aussi rapidement ; une idée mûrit dans ma pensée pendant des mois,