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fékloucha.

maîtres. Je me rappelle que, dans le courant de la journée, ma mère entra dans notre chambre, et voyant Niania occupée à préparer du thé à une heure insolite, lui demanda innocemment :

« Pour qui ce thé, Niania ?

— Pour Marie Vassiliévna, naturellement. Faudrait-il, selon vous, la laisser malade, et privée de thé ? Nous autres, domestiques, avons l’âme chrétienne », répondit Niania sur un ton si grossier et si courroucé, que maman, toute confuse, se hâta de quitter la chambre.

Et cette même Niania cependant, si on l’avait laissée faire, aurait été capable, quelques heures auparavant, de battre Marie Vassiliévna presque jusqu’à la mort.

Au bout de quelques jours, et à la grande joie de mes parents, la couturière se rétablit, et reprit son train de vie habituel. On ne lui parla plus du passé : je ne crois pas que parmi les domestiques on le lui ait jamais reproché.

Quant à moi, elle m’inspira depuis lors une pitié mêlée d’effroi. Je n’entrais plus, en passant, dans sa chambre comme autrefois. Si je la rencontrais dans le corridor, je me serrais involontairement contre le mur sans la regarder : il me semblait toujours qu’elle allait tomber à terre en poussant de grands cris.

Marie Vassiliévna remarquait sans doute mon aversion pour elle, et cherchait de toutes façons à rétablir nos anciens rapports. Elle inventait chaque jour quelque nouvelle surprise ; une robe pour ma poupée, des chiffons de couleur ; rien n’y faisait : je