Page:Souvestre - Le Monde tel qu’il sera, 1846.djvu/114

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de bonheur, il lui donna un grand devoir à remplir.

Mademoiselle Romain avait un père paralytique, dont elle devint le seul appui ! Le corps du vieillard n’était plus qu’un cadavre insensible, mais la tête continuait à penser ; le cœur battait toujours ! Incapable de se faire à lui-même l’aisance ou la misère, il était encore capable de les recevoir et de les sentir.

Sa fille le comprit, et résolut de lui conquérir tout ce qu’il pouvait espérer de joie. Elle réunit ses dernières ressources, acheta quelques marchandises, et vint s’établir au Bon-Pasteur !

La boutique était petite et bien des rayons restaient vides ; mais la sainte fille avait la foi des grands cœurs ! Prête à tous les sacrifices, pour celui qu’elle s’était promis de rendre heureux, elle ne pouvait croire que la Providence la trahît. Le moyen, en effet, de supposer Dieu moins bon que nous-mêmes ? Toujours le tricot à la main, près du comptoir, elle n’interrompait son travail qu’à l’entrée d’un acheteur, et, s’il se faisait trop attendre, si l’inquiétude ou le découragement ralentissait le mouvement de ses longues aiguilles de buis, elle regardait vers l’arrière-boutique le vieux paralytique doucement confiant dans son courage, et les aiguilles recommençaient à s’agiter plus rapides.

Les gains étaient faibles sans doute, mais qui peut dire les miracles de l’économie et du dévouement ? Tout ce que mademoiselle Romain se retranchait, était ajouté au bien-être du vieillard ; celui-ci trompé, la croyait plus riche à chaque nouvelle privation, et jouissait de ses sacrifices sans avoir la douleur de les soupçonner. La fille remerciait le ciel de cette erreur, qu’elle appelait une grâce, et, pour s’en rendre digne, elle s’imposait de nouveaux devoirs.