Page:Souvestre - Le Monde tel qu’il sera, 1846.djvu/12

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les ténèbres lumineuses de Paris. Maurice contemple Paris, Marthe ne voit que le ciel !

Mais après avoir erré d’étoile en étoile, son regard fatigué se repose sur Maurice, sa main s’appuie plus tendrement sur l’épaule qui la soutient, sa bouche s’approche et murmure dans un baiser :

— À quoi penses-tu ?

Perpétuelle question de ceux qui s’aiment ; appel inquiet des âmes qui se cherchent sans se voir, et qui, comme des sœurs égarées dans la nuit, s’interrogent à chaque pas !

Maurice se retourna, et ces deux visages, sur lesquels souriaient le bonheur et la jeunesse, se contemplèrent longtemps.

Un romancier profiterait de cette contemplation pour faire au lecteur deux portraits. Grâce aux procédés d’analyse microscopique inventés par l’école moderne, il trouverait, dans les yeux bleus de Maurice, estompés sous les paupières, l’aspiration vers l’inconnu ; dans ses narines gonflées, l’audace inquiète ; dans ses lèvres entr’ouvertes, la tendresse expansive ; dans tout son être, enfin, la personnification vivante de cette génération chercheuse, impatiente, incertaine, qui voudrait et qui ne sait pas. Quant à Marthe, les tempes baignées par des flots de cheveux noirs, le regard tendre, chaste et vaillant, il y aurait en elle, tout à la fois, la beauté de la femme, de la sainte et de l’héroïne ; ce serait une fille de la Julie de Saint-Preux, une amie de la Claire du comte Egmont, une sœur de Jeanne la grande pastoure !… Seulement, comme, après ces poétiques signalements, nos lecteurs pourraient se trouver aussi embarrassés que le brigadier qui lit le passe-port d’un citoyen que le roi recommande, pour deux francs, aux autorités civiles et mili-