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d’un commissionnaire chargé de sacs d’argent, qui constataient la quotité des consolations payées par la compagnie.

Lorsque M. Atout l’aperçut, il avait sur les lèvres ce sourire joyeusement modeste du sage dans la prospérité : mais à peine son regard eut-il rencontré Maurice et son compagnon, qu’il changea de visage ; une expression douloureuse enveloppa son front, comme un nuage subit.

M. Atout l’accosta, et s’informa avec empressement de ce qui lui était arrivé.

— Hélas ! vous le voyez, dit le philanthrope, dont le regard mélancolique glissa de ses nœuds de deuil jusqu’au commissionnaire ; la Providence m’a éprouvé cruellement ! Mon frère… mon oncle… mon cousin !…

Il s’arrêta avec un gémissement, et porta à ses yeux le groupe de billets de banque qu’il tenait à la main.

— Ah ! vous me le rappelez, dit l’académicien, chez qui un souvenir sembla se réveiller ; tous trois étaient embarqués sur la flottille des ballons incendiés ?

— Dites tous quatre, reprit M. le Doux, car mon neveu s’y trouvait aussi !… C’est surtout sa perte que je pleure !… Périr à vingt ans !… et les directeurs de la compagnie refusent de payer cette précieuse existence !… Ils veulent que je fournisse les preuves authentiques de sa mort !… Comprenez-vous ? moi, recueillir les preuves !… Ces malheureux n’ont point d’âme !… d’autant que j’ai fait déjà inutilement toutes les recherches. Mais je les forcerai à tenir leurs engagements… dans l’intérêt de la morale publique ! J’accepterai tout entier le poids de mon malheur !…

Ici, les regards du philanthrope se détournèrent de nouveau, comme s’il eût voulu supputer ce que ce douloureux fardeau pourrait ajouter à celui du commissionnaire. L’aca-