Page:Souvestre - Le Monde tel qu’il sera, 1846.djvu/134

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mour, je me décidai à en finir avec la vie : j’achetai ce qu’il fallait pour cela de poison, et après l’avoir bu, j’attendis tranquillement, comme Socrate, l’apparition de ce jour qui n’a ni veille, ni lendemain.

« Mais j’avais compté sans mon droguiste. Le poison vendu par lui était frelaté et ne put me tuer qu’à moitié : je restai un mois entier entre la vie et la mort, appelant l’une tout haut, et regrettant, peut-être, l’autre tout bas.

« Cependant mon essai produisit sur-le-champ quelque fruit. Une foule d’amis, qui m’avaient néglige vivant, voulurent me voir dès qu’ils me surent empoisonné, et m’amenèrent successivement tous les toxicologistes de Sans-Pair. Le traitement dura une année entière ; enfin, je pus me lever : mais l’effet du poison avait été terrible. Une transformation complète s’était opérée en moi, et j’étais devenu… ce que je suis.

« Lorsque je m’aperçus dans mon miroir, je demeurai pétrifié ! Mon premier sentiment fut du désespoir, le second fut de la honte. Je me demandais en quel abîme assez profond et assez obscur je pourrais cacher désormais ma laideur, et je déplorai de n’avoir pas succombé.

« M. Blaguefort me trouva livré à cet abattement. Il ne venait, disait-il, que dans l’intention de me voir et de s’assurer de ma guérison. Cependant, après m’avoir examiné avec une attention singulière, il me proposa brusquement cent mille écus pour l’exploitation de la corne que je portais ! Je crus qu’il voulait railler, et je lui ordonnai de sortir ; mais il revint dès le soir même, et offrit le double ; je le chassai de nouveau. Il m’écrivit pour me proposer huit cent mille francs ; puis un million !

« Ma douleur commença à se changer en étonnement,