Page:Souvestre - Le Monde tel qu’il sera, 1846.djvu/205

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

lard. Blaguefort se trouvait parmi eux ; il reconnut Maurice et se détacha du cortège pour le saluer. Le jeune homme demanda quel était le mort dont passait le convoi.

— Eh ! parbleu ! vous le connaissez, répliqua Blaguefort, c’est notre ancien compagnon de voyage, l’homme au racahout ! En le faisant maigrir, les dégraisseurs-jurés ont réussi à constater son identité, mais il en est mort. C’est une perte qui sera très-sensible à sa famille, et surtout à la compagnie dont il était le prospectus vivant. J’y suis moi-même pour la façon d’un corset orthonasique dont il m’avait fait la commande, comme vous le savez.

— Ainsi, dit Maurice, l’erreur d’un gendarme aura coûté la vie à un homme, ruiné une famille et compromis de nombreux intérêts !…

— Sans que l’on ait droit de réclamer aucuns dédommagements, acheva Blaguefort. Si un particulier accuse à tort, il est condamné comme calomniateur ; s’il se trompe dans un jugement, s’il fait preuve de précipitation ou d’imprudence, il en demeure responsable. Mais la société a le privilège de l’erreur ; si elle méconnaît un droit, si elle perd un honnête homme, si elle jette la mort et la désolation parmi des innocents, il lui suffit de dire ; — Je me suis trompée, cela passe pour une réparation suffisante. C’est toujours l’histoire du loup qui trouve la grue trop heureuse de n’avoir point été dévorée.

Allez, vous êtes une ingrate,
Ne tombez jamais sous ma patte !

Tout en parlant ainsi, Blaguefort s’était rapproché du convoi, et Maurice et Marthe, qui avaient pris congé du docteur Minimum, le suivirent machinalement.