Page:Souvestre - Le Monde tel qu’il sera, 1846.djvu/234

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posée de petits riens brillants, dont la réunion a l’air de faire quelque chose, ces clapotements de mots sonores, tournant autour de la pensée sans y atteindre jamais ; enfin cet art de dilater le moi de manière à ce qu’il puisse tout occuper.

« La passion du clinquant et de l’ingénieux les porta même à abandonner leurs véritables noms pour en prendre de composés, car mes récentes études ne m’ont laissé aucun doute à cet égard, messieurs ; il m’est désormais bien démontré que tous les noms sous lesquels nous connaissons les écrivains français du dix-neuvième siècle ne sont que des désignations significatives destinées à révéler le caractère, le talent et les prétentions de l’auteur.

« Nous pourrions appuyer cette opinion d’une multitude de témoignages ; l’espace et le temps nous obligent à choisir seulement quelques exemples.

« Nous citerons le poëte-coiffeur Jasmin, dont le nom parfumé convient évidemment si bien à sa double profession ; le versificateur-maçon Poncy, au sobriquet pierreux et solide comme son talent ; l’écrivain-cordonnier Lapointe, qui, en perçant la foule, justifia son symbolique surnom : l’historien Laurent, ainsi appelé par allusion à son héros, l’empereur Napoléon, cuit à petit feu sur le rocher de Saint-Hélène, comme le fut autrefois saint Laurent sur le gril ; le romancier Dumas, abréviation de Dumanoir, nom guerrier qui rappelle heureusement la manière hardie et cavalière de l’auteur ; le monographe Pitre-Chevalier, qui signa ainsi son beau livre de Bretagne et Vendée, afin de rendre hommage, dès le titre, aux deux pays chevaleresques dont il racontait les grandes aventures.