Page:Souvestre - Le Monde tel qu’il sera, 1846.djvu/254

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Ces raisons étaient fortes, mais on ne renonce point ainsi à l’espoir de rendre un collègue ridicule ; la fraternité des arts descend en droite ligne de celle d’Abel et de Caïn ; Atout résistait et trouvait toujours quelque chose à répondre. Il alléguait l’intérêt de la science, l’intérêt de l’histoire, l’intérêt des principes, enfin, tous les intérêts que l’on cite quand on ne veut rien dire du véritable. Il invoquait surtout les arrêts de sa conscience, idole mystérieuse qui parle ou se tait, selon la volonté du grand prêtre.

Blaguefort, qui était à bout d’éloquence, s’arrêta enfin tout à coup, comme illuminé d’une subite inspiration.

— Je comprends, s’écria-t-il ; vous ne voulez point perdre l’occasion : cette critique de l’ouvrage du bibliophile doit piquer la curiosité ; on peut en vendre autant d’exemplaires que de l’ouvrage lui-même.

— Sinon davantage, ajouta Atout ; puis j’ai d’autres motifs…

— Je sais, je sais, interrompit Blaguefort, la science… les principes… la conscience… eh bien, je vous achète tout !

L’académicien fit un mouvement.

— Cent vingt mille francs pour le livre du bibliophile et cent vingt mille francs pour la réfutation, continua l’homme aux spéculations ; cela arrange tout. Je vendrai d’abord le premier comme un chef-d’œuvre, puis le second pour prouver que c’est une rapsodie. De cette manière, le public aura fait une double étude et moi un double profit. Voyons, c’est convenu, n’est-il pas vrai ? Je vais écrire nos conditions pour éviter tout malentendu.

Blaguefort s’était assis à la table de M. Prétorien, où il rédigea le traité convenu ; M. Atout signa, reçut un billet à ordre, et il allait prendre congé du directeur du Grand Pan