Page:Souvestre - Le Monde tel qu’il sera, 1846.djvu/268

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dien, au lieu de représenter un caractère, révèle au public sa propre personnalité ; on ne joue plus de pièces, on joue des acteurs. Le drame de Kléber en Égypte offre, du reste, un exemple éclatant de la souplesse avec laquelle nos auteurs accommodent l’idée à toutes les exigences. La pièce, qui s’appelait d’abord la Jeune esclave, avait été écrite pour les débuts d’une actrice charmante, qui s’est malheureusement trouvée, tout à coup, hors d’état de jouer les vierges. On a alors proposé de lui substituer un amoureux, en prenant pour titre le Jeune esclave ! Ce n’était qu’une modification d’artiste, comme le fit observer spirituellement le directeur (car les directeurs ont de l’esprit depuis qu’ils ne laissent plus les auteurs en avoir) ; mais l’amoureux refusa le rôle à cause du costume, qui ne lui permettait point de porter des bottes à la dragonne. Les bottes à la dragonne étaient sa spécialité et l’origine de tous ses succès ! Un auteur de votre temps eût sans doute renoncé à son œuvre après de tels échecs, mais les nôtres sont plus tenaces. Celui de la pièce nouvelle apprit qu’un célèbre dompteur de bêtes venait d’arriver à Sans-Pair, et son plan fut aussitôt transformé. Il substitua Kléber au grand Sésostris, un aigle chauve au capitaine des gardes, et remplaça l’amoureux par un jeune caïman de la plus haute espérance. C’est lui que nous allons voir. On dit le rôle merveilleusement approprié à ses facultés dramatiques et plein d’effets saisissants. Mais l’heure du spectacle n’est point encore arrivée, et celle du dîner vient de sonner ; entrons au Bœuf de la reine d’Angleterre, c’est un restaurant nouveau établi par notre société, et dont les actions sont déjà de quatre-vingts pour cent au-dessus du pair ; on y accepte tout en payement ; chapeaux-sans bords, breloques de montres,