Page:Souvestre - Le Monde tel qu’il sera, 1846.djvu/300

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

qu’il montrait ailleurs, et riait librement des autres et de lui-même. On eût dit les coulisses d’un théâtre où les acteurs parodiaient leurs propres rôles. C’était là que la génération nouvelle de Sans-Pair apprenait ce ricanement sceptique, bise glacée qui siffle à travers les moissons fleuries de la jeunesse ; là que l’ironie arrêtait successivement dans leur vol les enthousiasmes naïfs, les ardentes croyances, les espoirs fugitifs, les illusions changeantes, pauvres papillons aux éblouissantes couleurs, qu’elle perce, en riant, de son épingle d’acier, et dont elle expose les convulsions aux moqueries de la foule. L’indifférence du bien et du mal était appelée bon sens, l’égoïsme esprit de conduite, le mépris des hommes expérience. On y regardait la science de la corruption comme la science de la vie ; on ne proposait plus d’élever un gibet pour les Christs, mais on leur donnait pour sceptre la marotte et pour couronne le bonnet orné de grelots. Car le sublime avait même cessé d’exciter la colère, on ne le comprenait point et on en riait.

Maurice arriva quelques instants après Mme Facile et trouva une société nombreuse.

Outre ceux qu’il connaissait déjà, Prétorien lui montra un certain nombre d’hommes célèbres en politique ou dans les arts, pour avoir fait quelque chose, et un plus grand nombre connus dans le monde élégant parce qu’ils ne faisaient rien.

Maurice remarqua surtout, parmi les premiers, un homme maigre et à l’air ennuyé, qui parlait à tout le monde avec une familiarité nonchalante.

— C’est, M. Mauvais, notre grand critique, lui dit Prétorien ; voyant qu’il ne pouvait produire, il s’est mis à déchirer les productions contemporaines comme ces femmes qui,