Page:Souvestre - Le Monde tel qu’il sera, 1846.djvu/41

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

gue à subir, sans observations à faire, sans confidence à échanger. On se prenait sans se voir, on se quittait sans s’être parlé ; chacun était indifférent à tout le monde, et tout le monde à chacun : voyager, enfin, n’était plus vivre en chemin ni en commun, mais partir et arriver !

Marthe avait d’abord écouté l’apologie de M. Atout ; mais insensiblement elle devint moins attentive ; ses paupières se fermèrent, et, bercée par l’haleine de celui qu’elle aimait, elle s’endormit ! Les images confuses du passé flottèrent d’abord quelque temps autour de son esprit, puis un souvenir rayonnant effaça tous les autres, et sortit lentement de ce chaos, comme une étoile des nuées.

Marthe rêvait au voyage fait avec Maurice la veille même de leur long sommeil !

Elle croyait voir encore les dernières lueurs du jour illuminant les coteaux de Viroflai et la lisière des bois ; elle apercevait l’épine fleurie qui brodait le vert pâle des haies ; elle sentait le parfum des lilas, dont les touffes riantes couronnaient les murs des jardins ; elle entendait, sur les chemins déjà cachés dans l’ombre, le bruit des clochettes cadencé par le trot des chevaux.

Près d’elle était Maurice, une main dans les siennes ; près de Maurice, un vieux cocher, au regard pensif ; derrière, les autres voyageurs : paysan à la parole haute, jeune mère inquiète à chaque mouvement de ses enfants, vieux soldat silencieux !

La voiture roulait doucement sur la terre amollie ; mais, à chaque instant, sa course devenait plus lente, et des exclamations d’impatience s’élevaient.

— Fouettez le cheval ! criaient-ils tous.

Le cocher se contentait d’agiter les rênes.