Page:Souvestre - Le Monde tel qu’il sera, 1846.djvu/43

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— Ferme, mon vieux trompette, disait-il, encore cette corvée pour Georgette ; demain nous nous reposerons.

Puis se tournant vers Marthe et Maurice :

— C’est la fille de la maison. Georgette, avait-il ajouté en souriant, elle épouse le fils du voisin samedi, et sa mère et moi nous lui avons préparé une surprise : lit, secrétaire et commode de noyer, avec la garniture de cheminée ! Elle ne se mariera qu’une fois, cette enfant : je veux qu’elle ait la joie complète. Joli nid et bel oiseau. L’oiseau est trouvé ; mais pour le nid il manque encore cent sous, et Noiraud ne peut se reposer que quand je les aurai… Pas vrai, vieux, que tu me les gagneras demain !

— Il vous les a gagnés, s’était écrié Maurice, en lui tendant l’argent ; vous pouvez hâter d’un jour la joie de Georgette et le repos de Noiraud ; allez, brave cœur, et que Dieu bénisse vos amoureux.

Il avait alors sauté, enlevant Marthe dans ses bras, et la voiture allégée s’était perdue dans l’ombre !

Paris se trouvait encore loin ; mais tous deux avaient marché joyeusement, les bras enlacés, causant, à demi-voix, de Georgette, de Noiraud, des étoiles ! Ineffable échange de bagatelles charmantes, de fugitives impressions, de confidences comprises sans être achevées ; sorte de rêverie dialoguée, dont on ne se rappelle rien, et qui laisse dans le passé une de ces traînées lumineuses, vers lesquelles le regard se tourne toujours.

Ils n’étaient arrivés qu’au milieu de la nuit, haletants de fatigue, couverts de sueur, les pieds poudreux et meurtris, mais le cœur plein et l’esprit joyeux. Ce voyage, ils ne pouvaient l’oublier désormais, car ils n’avaient pas seulement changé de lieu, ils avaient vu, senti ; ils n’étaient pas seu-