Page:Souvestre - Le Monde tel qu’il sera, 1859.djvu/101

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Prête à tous les sacrifices pour celui qu’elle s’était promis de rendre heureux, elle ne pouvait croire que la Providence la trahît. Le moyen, en effet, de supposer Dieu moins bon que nous-mêmes ? Toujours le tricot à la main, près du comptoir, elle n’interrompait son travail qu’à l’entrée d’une acheteur, et, s’il se faisait trop attendre, si l’inquiétude ou le découragement ralentissait le mouvement de ses longues aiguilles de buis, elle regardait vers l’arrière-boutique le vieux paralytique doucement confiant dans son courage, et les aiguilles recommençaient à s’agiter plus rapides.

Les gains étaient faibles sans doute ; mais qui peut dire les miracles de l’économie et du dévouement ? Tout ce que mademoiselle Romain se retranchait était ajouté au bien-être du vieillard ; celui-ci, trompé, la croyait plus riche à chaque nouvelle privation, et jouissait de ses sacrifices sans avoir la douleur de les soupçonner. La fille remerciait le ciel de cette erreur, qu’elle appelait une grâce, et, pour s’en rendre digne, elle s’imposait de nouveaux devoirs.

Une pauvre femme qu’elle avait employée quelquefois vint à mourir, laissant un fils presque idiot. Mademoiselle Romain l’accueillit d’abord, pour qu’il ne vît point clouer le cercueil de sa mère ; mais, le lendemain, quand elle pensa qu’il fallait le conduire à l’hospice, le cœur lui manqua. L’enfant avait déjà choisi sa place près du foyer, il tenait sa tête appuyée sur les genoux du paralytique, et souriait en regardant celle qui l’avait recueilli.

« Il eût pu être mon frère ! » pensa-t-elle, attendrie.

Et, regardant encore ces deux infortunés, que Dieu