Page:Souvestre - Le Monde tel qu’il sera, 1859.djvu/66

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Yvonnette, d’abord stupéfaite, puis éperdue d’attendrissement, embrassait la vieille, qui ne pouvait comprendre de tels transports. Mais M. de Boutteville, dont les yeux s’étaient mouillés de larmes, prit tout à coup sa main et y posa celle de sa fiancée :

« Vous avez été sa mère, dit-il, c’est à vous de la mener à l’autel et de me la donner. »

Ce qui fut fait sur l’heure, à la grande admiration de tous les spectateurs. Yvonnette, parée de soie, de dentelle et d’or, fut conduite au prêtre par Bertaude, qui portait encore ses habits de mendiante, sa quenouille et son fuseau ; et, la cérémonie achevée, la jeune mariée vint s’agenouiller devant la vieille paysanne pour lui demander de la bénir, comme elle eût fait pour sa mère ! La foule pleurait, et l’on entendit répéter de tous côtés : « Que Dieu les protège ! que Dieu les protège ! »

Ce vœu fut accompli, car le souvenir de cette union a été conservé dans le Bessin, où l’on disait encore longtemps après, sous forme de proverbe : Heureux comme les Boutteville !

Mais ce qui vaut mieux, c’est qu’ils conservèrent jusqu’à la fin leur vénération reconnaissante pour Bertaude. Alors que les plus grands seigneurs et que les plus grandes dames se trouvaient réunis dans les salons du château de Boutteville, la fileuse d’Évrecy y occupait la place d’honneur. On célébrait de plus, tous les ans, à l’église de la paroisse, une messe solennelle à laquelle la vieille servante se rendait avec son ancien costume de mendiante, sa quenouille et son fuseau, ayant à un bras le sire de Boutteville, et à l’autre Yvonnette. Touchante cérémonie, qui, en rappelant le dévouement et