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DEUXIÈME PARTIE.

l’espérance, je ne fatiguais plus le ciel par la diversité des vœux d’un jeune homme ; je ne lui demandais qu’une grâce, c’était de n’avoir jamais à me reprocher le malheur d’un autre ; car le remords est la seule douleur de l’âme que le temps et la réflexion n’adoucissent pas. Elle va me poursuivre, cette douleur ; c’est en vain que j’avais émoussé la vivacité de tous mes sentiments, la raison aura détruit mon illusion sur les plaisirs, sans adoucir l’âpreté de mes chagrins.

L’image de cette douce, de cette angélique Thérèse, immolant sa jeunesse, ensevelissant elle-même sa destinée, cette image enveloppée des voiles de la mort me poursuivra jusqu’au tombeau. Vous, madame, qui avez le génie de la bonté, la passion du bien et tout l’esprit des anges, secourez-moi. Je vous envoie un ami fidèle qui, après vous avoir remis cette lettre et reçu votre réponse, doit revenir sur les frontières de France, où je l’attendrai. C’est à lui seul que vous voudrez bien donner le sauf-conduit que je désire si ardemment : vous l’obtiendrez, car jamais rien n’a pu être refusé à vos prières, et vous sauverez Thérèse et moi d’un malheur, d’un supplice éternel. Adieu madame ; je me confie à votre bonté, elle ne trompera point mon espoir.

P. S. Il importe que madame d’Ervins ne sache pas que mon intention est de revenir en France.

LETTRE XX. — LÉONCE À DELPHINE.
Paris, ce 17 septembre.

Les nouveaux devoirs que j’ai contractés doivent désormais me rendre étranger à votre avenir : cependant ne me refusez pas de le connaître ; permettez-moi de m’entretenir quelques instants seul avec vous, à l’heure que vous voudrez bien m’indiquer. Je pars pour l’Espagne après vous avoir vue : cette grâce que je vous demande sera sans doute le dernier rapport que vous aurez jamais avec ma triste vie. Je ne devrais plus conserver aucun doute sur vos torts envers vous-même, comme envers moi ; cependant si vous aviez des chagrins, si je pouvais vous pardonner, je partirais plus calme, et, peut-être moins malheureux.