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DELPHINE.

tout ce que l’on pouvait dire sur mes peines ; enfin, sans elle, je ne sais si j’aurais supporté cette dernière douleur. Ce que je ressentais était amer et humiliant ; Sophie m’a relevée à mes propres yeux ; elle a su adoucir mes impressions, et me préserver du moins d’une irritation, d’un ressentiment qui aurait dénaturé mon caractère.

Louise, vous n’étiez pas auprès de moi, il a bien fallu qu’une autre me secourût ; mais dès que Thérèse m’aura quittée, dans un mois, je viendrai, je m’abandonnerai à vous, et si je ne puis vivre, vous le pardonnerez.

LETTRE XXV. — LÉONCE À M. BARTON.
Bordeaux, 23 septembre.

L’auriez-vous cru, que ce serait de cette ville que vous recevriez ma première lettre ? Je devais la voir, et je suis parti ; je suis venu sans m’arrêter jusqu’ici ; je comptais aller de même, jusqu’à ce que j’eusse rencontré cet homme insolemment heureux, que l’on fait revenir en France. La fièvre m’a pris avec tant de violence, qu’il faut bien suspendre mon voyage ; mais M. de Serbellane passe par ici, je le sais ; il a mandé qu’il y viendrait, il est peut-être plus sûr de l’y attendre.

Oui, je suis parti, lorsqu’elle avait consenti à me voir, lorsqu’elle avait, sans doute, préparé quelques ruses pour me tromper : je, suis parti sans regrets, mais avec un sentiment d’indignation qui a changé totalement ma disposition pour elle. Mon ami, lisez bien ces mots qui m’étonnent plus que vous-même en les traçant : Madame d’Albémar n’a mérité ni votre estime ni mon amour.

Quand elle me répondit qu’elle me recevrait, je n’osai pas vous l’écrire, mon cher maître ; mais je ne pouvais contenir dans mon sein la joie que je ressentais ; je me promenais dans ma chambre avec des transports dont je n’étais plus le maître : quelquefois cette vive émotion de bonheur m’oppressait tellement, que je voulais la calmer en me rappelant tout ce qu’il y avait de cruel dans ma situation, dans mes liens ; mais il est des moments où l’âme repousse, toute espèce de peines, et ces idées tristes, qui la veille me pénétraient si profondément, glissaient alors sur mon cœur comme s’il avait été invulnérable.

Je m’étais enfermé ; un de mes gens frappa à ma porte ; je