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DEUXIÈME PARTIE.

grands torts, vous serez un peu plus disposée à les pardonner. Ce que je vous demande instamment, c’est, après avoir lu cette lettre, de n’en pas causer avec moi : j’ai toujours craint les fortes émotions ; je ne suis pas assez contente de moi pour aimer à m’abandonner, à mes mouvements, ni à ceux des autres. Le repentir seul convient à ma situation, et je ne veux pas m’y livrer ; je suis mieux en tout quand je me contiens, et l’entraînement me fait mal. Écrivez-moi seulement deux lignes qui me disent que vous conserverez un souvenir encore doux de votre ancienne amie ; je les mettrai, ces deux lignes, sur ma poitrine déjà mortellement atteinte, et ce remède me fera peut-être mourir sans douleur. » En disant ces derniers mots, elle sonna, comme si elle eût redouté les pleurs que je répandais et la prolongation de sa propre émotion. Ses femmes entrèrent ; elle me renvoya doucement chez moi. Je montai dans une chambre que je m’étais fait donner pour ne pas sortir de la maison, et je lus avec un serrement de cœur continuel la lettre que voici :

MADAME DE VERNON — À MADAME D’ALBÉMAR.

Je n’ai été aimée dans ma vie que par vous. Beaucoup de gens m’ont trouvée aimable, ont recherché ma société ; mais vous êtes la seule personne qui m’ayez rendu service sans intérêt personnel, sans autre objet que de satisfaire votre générosité et votre amitié ; et cependant vous êtes l’être du monde envers lequel j’ai eu les torts les plus graves ; peut-être même n’y a-t-il que vous qui ayez véritablement le droit de me faire des reproches. Comment m’expliquer à moi-même une telle conduite ? Au moins, je n’en adoucis pas les couleurs ; je m’interdis, pour la première fois de ma vie, tout autre secours que celui de la vérité. C’est à votre esprit seul que je m’adresserai dans cette peinture fidèle de mon caractère, et je n’abuserai point de ma situation pour obtenir mon pardon de l’attendrissement qu’elle pourrait vous causer.

Les circonstances qui présidèrent à mon éducation ont altéré mon naturel ; il était doux et flexible ; on aurait pu, je crois, le développer d’une manière plus heureuse. Personne ne s’est occupé de moi dans mon enfance, lorsqu’il eût été si facile de former mon cœur à la confiance et à l’affection. Mon père et ma mère sont morts que je n’avais pas trois ans, et ceux qui m’ont élevée ne méritaient point mon attachement. Un parent