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PREMIÈRE PARTIE.

si vive, si dévouée, qu’il vous suffirait d’être sa fille pour que je fisse pour vous, quand même je ne vous connaîtrais pas, tout ce qui est en mon pouvoir. Mais c’est assez parler de ce service ; assurément je ne vous en aurais pas entretenue si longtemps si je n’avais aperçu que vous aviez une répugnance secrète pour la proposition que je vous faisais.

Il se peut aussi que vous soyez blessée des conditions que madame de Mondoville a mises à votre mariage avec son fils. N’oubliez pas cependant, ma chère Mathilde, qu’elle ne vous a connue que pendant votre enfance, puisqu’elle n’a pas quitté l’Espagne depuis dix ans ; et songez surtout que son fils ne vous a jamais vue. Madame de Mondoville aime votre mère, et désire s’allier avec votre famille ; mais vous savez combien elle met d’importance à tout ce qui peut ajouter à la considération des siens ; elle veut que sa belle-fille ait de la fortune, comme un moyen d’établir une distance de plus entre son fils et les autres hommes. Elle a de la générosité et de l’élévation, mais aussi de la hauteur et de l’orgueil ; ses manières, dit-on, sont très-simples et son caractère très-arrogant. Née en Espagne, d’une famille attachée aux antiques mœurs de ce pays, elle a vécu longtemps en France avec son mari, et elle y a appris l’art de revêtir ses défauts de formes aimables qui subjuguent ceux qui l’entourent. Tout ce que l’on raconte de Léonce de Mondoville me persuade que vous serez parfaitement heureuse avec lui ; mais je crois que madame de Mondoville, malgré les inconvénients de son caractère, a beaucoup d’ascendant sur son fils. J’ai souvent remarqué que c’est par ses défauts que l’on gouverne ceux dont on est aimé ; ils veulent les ménager, ils craignent de les irriter, ils finissent par s’y soumettre, tandis que les qualités dont le principal avantage est de rendre la vie facile sont souvent oubliées, et ne donnent point de pouvoir sur les autres.

Ces diverses réflexions ne doivent en rien vous détourner du mariage le plus brillant et le plus avantageux ; mais elles ont pour but de vous faire sentir la nécessité de remplir toutes les conditions que demande ou que désire madame de Mondoville. Il ne faut pas que vous entriez dans une telle famille avec une infériorité quelconque ; il faut que madame de Mondoville soit convaincue qu’elle a fait pour son fils un mariage très-convenable, afin que tous les égards que vous aurez pour elle la flattent davantage encore. Plus vous serez indépendante par votre fortune, plus il vous sera doux d’être asservie par vos sentiments et vos devoirs.