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DELPHINE.

cours, après des moments si coupables ? Non, sans doute ; mais il m’a été donné pour me livrer à la douleur, pour expier par mes regrets ce jour où mes sentiments ont profané tout ce qu’il y a de plus respectable au monde. Je suis bien malade ; on me croit en danger, on me défend d’écrire ; mais, si je dois mourir, je veux que vous connaissiez les dernières heures que j’ai passées. Elles ont été terribles ! que le souvenir en demeure déposé dans votre sein ! Apprenez quels sont les efforts qui peut-être ont précédé la fin de ma vie ! Je crains que ma fièvre ne me fasse tomber dans le délire ; je n’ai peut-être plus que quelques instants pour recueillir mes pensées, je vous les consacre encore. Aimez-moi ! Si je meurs, je puis être pardonnée.

Léonce, à regret, s’était enfin décidé à m’accompagner, comme le désirait madame d’Ervins ; nous arrivons à la porte du couvent où je l’avais conduite la veille, et près duquel demeurait son confesseur. Un homme m’y attendait pour me remettre une lettre d’elle qui m’apprenait qu’elle serait reçue novice, dans quel lieu, juste ciel ! dans l’église même où j’ai vu Léonce se marier ! Thérèse me l’avait caché, mais c’était sur ce moyen qu’elle comptait pour triompher de notre amour. J’hésitai, je l’avoue, si je continuerais ma route ; mais la fin de la lettre de Thérèse était tellement pressante, elle me disait avec tant de force qu’elle avait besoin de me revoir encore, que je lui percerais le cœur en la privant dans un tel moment de la présence de sa seule amie, que je n’eus pas le courage de la refuser. Léonce, cette fois, voyant dans quel état d’émotion j’étais, insista pour ne pas m’abandonner seule à cette épreuve douloureuse. J’étais déjà dans un tel trouble, que je cessai de vouloir, et je me laissai conduire sans réflexion ni résistance.

Pendant la route qui nous restait encore à faire, nous gardâmes l’un et l’autre le plus profond silence ; néanmoins, à l’instant où ma voiture tourna dans le chemin qui conduit à l’église de Sainte-Marie, Léonce, reconnaissant les lieux qu’il ne pouvait oublier, dit avec un profond soupir : « C’était ainsi que j’allais avec Mathilde ; elle était là, s’écria-t-il en montrant ma place : oh ! pourquoi suis-je venu ? Je ne puis… » Il semblait vouloir fuir ; mais en me regardant, ma pâleur et mon tremblement le frappèrent sans doute, car, s’arrêtant tout à coup, il ajouta : « Non, pauvre malheureuse, tu souffres, je ne te laisserai point souffrir seule ! appuie-toi sur ton ami. » Nous descendîmes de la voiture ; l’église était fermée pour tout le monde, excepté pour nous. Un vieux prêtre vint à notre rencontre ; et,