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DELPHINE.

prouvé de mille manières ; jamais mon cœur n’aura rien de caché pour vous. Adieu ! cette longue lettre m’a fatiguée ; mais je voulais que vous fussiez présente à cette fête qui vous était due, car personne n’a plus contribué que vous à mon rétablissement.

LETTRE VI. — MADEMOISELLE D’ALBÉMAR À DELPHINE.
Paris, ce 8 juillet.

J’aime mieux vous écrire que vous parler, ma chère Delphine ; je ne veux pas prolonger votre anxiété, et je ne me sens pas la force, ce soir, après les heures que je viens de passer avec Léonce, de soutenir une émotion nouvelle. Vous avez voulu que je fusse l’arbitre de votre sort ; est-ce par faiblesse, est-ce par courage que vous l’avez souhaité ? Je n’en sais rien ; mais, quoi qu’il dût m’en coûter, je ne pouvais me résoudre à repousser votre confiance ; et puisque j’ai fait de votre destinée la mienne, j’ai presque le droit d’intervenir dans la plus importante décision de votre vie.

Que vais je vous dire cependant ? je devrais avoir plus de force que vous, et je vous en montrerai peut-être moins ; je devrais vous encourager dans le plus pénible effort, et je vais peut-être affaiblir les motifs qui vous en rendraient capable : j’aurai sûrement une conduite différente de celle que vous attendez ; mais comme je me sacrifie moi-même au conseil que je vous donne, je suis sûre au moins que mon opinion n’est pas dirigée par ce qui entraîne les hommes au mal, l’intérêt personnel.

Il est possible que vous ayez en moi un mauvais guide ; je connais peu le monde, et le spectacle des passions, tout à fait nouveau pour moi, ébranle trop fortement mon âme ; mais enfin, après avoir observé Léonce, après l’avoir écouté longtemps, je ne me crois pas permis de vous conseiller de vous séparer de lui maintenant. La douleur excessive qu’il m’a montrée, la douleur plus dévorante encore qu’il essayait en vain de contenir ; les résolutions funestes que, dans les circonstances politiques où la France se trouve, vous pouvez seule l’empêcher d’adopter : tout m’effraye sur votre sort, si vous preniez un parti devenu trop cruel pour tous les deux. Delphine, après avoir laissé tant d’amour se développer dans le cœur de Léonce, il est du devoir d’une âme sensible de ménager avec les soins les plus délicats ce caractère passionné : je