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DELPHINE.

ccordez-moi l’un et l’autre le secours de vos lumières et de votre amitié.

LETTRE XIII. — RÉPONSE DE MADAME DE LEBENSEI
À MADEMOISELLE D’ALBÉMAR.
Cernay, ce 30 août 1791.

L’émotion que m’a causée votre lettre, mademoiselle, a été la cause du premier tort que j’aie jamais eu avec Henri ; après l’avoir lue, je m’écriai : « Ah ! pourquoi suis-je privée de tout ascendant sur personne ! proscrite que je suis par l’opinion, il ne me reste aucun moyen d’être utile à mes amis calomniés ! » À peine avais-je dit ces mots, qu’un repentir profond, un tendre retour vers mon ami les suivit ; mais je craignis pendant plusieurs heures que leur impression sur lui ne fût ineffaçable ; enfin il m’a pardonné, parce que j’avais tort, grièvement tort, et qu’il lui était trop aisé de me le faire sentir, pour qu’il ne fût pas dans son caractère de s’y refuser. Il est parti pour Paris, dans l’intention de servir madame d’Albémar ; mais il aura soin de faire répandre par d’autres ce qu’il faut que l’on dise ; car les préjugés de la société sont tels contre les opinions politiques de M. de Lebensei, qu’il nuirait à madame d’Albémar en se montrant son admirateur le plus zélé. Oh ! que la malveillance a de ressources pour faire souffrir ! ne sentez-vous pas les méchants comme un poids sur le cœur ? ne vous semble-t-il pas qu’ils empêchent de respirer ? Lorsqu’on voudrait reprendre un peu d’espoir, leur souvenir le repousse douloureusement au fond de l’âme.

Quelques heures après le départ de M. de Lebensei, mon enfant étant assez bien, je n’ai pu résister au désir que j’avais de causer avec vous et de voir madame d’Albémar, et je suis partie de Cernay assez tard, car je n’y suis revenue qu’à minuit. Vous étiez sortie, mais j’ai trouvé Delphine, qui venait de recevoir une lettre de Léonce : il annonçait son retour dans huit jours, avec les expressions les plus tendres et les plus passionnées pour madame d’Albémar, et cependant elle m’a paru profondément triste. Je suis convaincue qu’elle sait ce que nous voulons lui cacher, mais que cette âme fière ne peut se résoudre à nous en parler. Elle n’avait laissé sa porte ouverte que pour madame d’Artenas et pour moi ; si elle a vu madame d’Ar-