Page:Staël - Delphine,Garnier,1869.djvu/442

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
415
QUATRIÈME PARTIE.

qui ne changent rien à la situation, mais tourmentent l’imagination presque autant qu’une nouvelle peine. Madame d’Artenas me citait sans cesse ce qu’elle avait fait pour ramener l’opinion sur sa nièce ; elle croyait m’encourager par l’exemple des services qu’elle lui avait rendus, comme si cette comparaison pouvait se soutenir, comme si son premier soin n’aurait pas dû être de l’écarter !

Madame de R. souffrait, d’une manière très-aimable, d’un rapprochement qu’elle trouvait tout à fait inconvenable. Chaque fois que madame d’Artenas se servait d’un terme trop fort, elle l’interrompait, pour adoucir, par des modifications flatteuses, ce que sa tante avait trop prononcé. Je lui ai vu plusieurs fois les larmes aux yeux en me regardant. Je savais beaucoup de gré à madame de R. de ses attentions délicates, mais je ne pouvais l’en remercier ; toute ma force était employée à écouter avec douceur les avis utiles de madame d’Artenas ; je rougissais et je pâlissais tour à tour, quand elle me répétait ce qu’on avait dit de moi, du ton d’un récit ordinaire. On aurait pu croire qu’elle racontait une histoire arrivée depuis cinquante ans, à des personnes tout à fait étrangères à cette histoire. Cependant, comme je ne pouvais douter que le but de tous ses discours ne fût de me rendre service, qu’elle en avait un sincère désir, et me le témoignait franchement, je m’imposais, quoi qu’il m’en coûtât, de l’entendre en silence, et de la remercier, du moins par un signe de tête, lorsque la parole me manquait. Je sentais, d’ailleurs, que la hauteur de l’innocence n’aurait paru que de l’exaltation à madame d’Artenas ; je retenais les expressions élevées et presque orgueilleuses qui m’auraient satisfaite, et je m’interdisais cette langue sacrée des âmes fières, qu’il ne faut pas prodiguer à qui n’est pas digne de la comprendre.

Le résultat de cette conversation fut qu’il fallait retourner dans le monde ; et comme madame de Saint-Albe doit donner dans quelques semaines un grand concert où la société de Paris sera réunie, madame d’Artenas, qui est sa parente, veut m’y faire inviter et m’y conduire. Elle croit que d’ici là mes amis auront eu le temps de me justifier, et de réparer entièrement le tort que m’a fait M. de Fierville. Il me sera pénible de me présenter ainsi à toute l’armée de l’opinion : mais Léonce le désire, je le ferai. Qui vous aurait dit cependant, ma chère Élise, que cette Delphine dont on enviait la situation, qu’on attendait dans les nombreuses assemblées (j’ose le dire avec amertume) comme une partie de la fête ; qui vous aurait dit