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DE L’AMOUR. 161 Ce qui fortifie ma conjecture sur celle du Nord, c*est le man- que absolu d’artistes et d’écrivains. Les États-Unis ne nous ont pas encore envoyé une scène de tragédie, un tableau ou une vie de Washington. CHAPITRE LI. DE l’amour en PROVENCE JUSQU’a LA CONQUÊTE DE TOCLOUSE , EN 1328, PAR LES BARBARES DU NORD. L*amour eut une singulière forme en Provence, depuis Tan 1100 jusqu’en 1528. Il y avait une législation établie pour les rapports des deux sexes en amour, aussi sévère et aussi exac- tement suivie que peuvent Tétre aujourd’hui les loist du point d*hùnneur. Celles de Tamour faisaient d’abord abstraction com- plète des droits sacrés des maris. Elles ne supposaient aucune hypocrisie. Ces lois, prenant la nature humaine telle qu’elle est, devaient produire beaucoup de bonheur. Il y avait la manière officielle de se déclarer amoureux d’une femme, et celle d’être agréé par elle en qualité d’amant. Après tant de mois de cour d’une certaine façon, on obtenait de lui baiser la main. La société, jeune encore, se plaisait dans les for- malités et les cérémonies qui alors montraient la civilisation, et qui aujourd’hui feraient mourir d’ennui. Le même caractère se retrouve dans la langue des Provençaux, dans la difficulté et l’en- trelacement de leurs rimes, dans leurs mots masculins etfén^i- nins pour exprimer le même objet ; enfin dans le nombre infini de leurs poètes. Tout ce qui est forme dans la société, et qui au- jourd’hui est si insipide, avait alors toute la fraîcheur et la sa- veur de la nouveauté.