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ŒUVRES DE STENDHAL.

lusion qu’on se fait, jamais l’image qu’elle pourra se créer à vingt-huit ans n’aura le brillant et le sublime de celle sur laquelle était fondé le premier amour à seize, et le second amour semblera toujours d’une espèce dégénérée. — Non madame, la présence de la méfiance, qui n’existait pas à seize ans est évidemment ce qui doit donner une couleur différente à ce second amour. Dans la première jeunesse, l’amour est comme un fleuve immense qui entraîne tout dans son cours, et auquel on sent qu’on ne saurait résister. Or, une âme tendre se connaît à vingt-huit ans ; elle sait que si pour elle il est encore du bonheur dans la vie, c’est à l’amour qu’il faut le demander ; il s’établit dans ce pauvre cœur agité une lutte terrible entre l’amour et la méfiance. La cristallisation avance lentement ; mais celle qui sort victorieuse de cette épreuve terrible, où l’âme exécute tous ses mouvements à la vue continue du plus affreux danger, est mille fois plus brillante et plus solide que la cristallisation de seize ans, où, par le privilège de l’âge, tout était gaieté et bonheur.

« Donc l’amour doit être moins gai et plus passionné[1]. »

Cette conversation (Bologne, 9 mars 1820), qui contredit un point qui me semblait si clair, me fait penser de plus en plus qu’un homme ne peut presque rien dire de sensé sur ce qui se passe au fond du cœur d’une femme tendre ; quant à une coquette, c’est différent : nous avons aussi des sens et de la vanité.

La dissemblance entre la naissance de l’amour chez les deux sexes doit provenir de la nature de l’espérance, qui n’est pas la même. L’un attaque et l’autre défend ; l’un demande et l’autre refuse ; l’un est hardi, l’autre très-timide.

L’homme se dit : « Pourrai-je lui plaire ? voudra-t-elle m’aimer ? »

La femme : « N’est-ce point par jeu qu’il me dit qu’il m’aime ?

  1. Épicure disait que le discernement est nécessaire à la possession du plaisir.