Page:Stendhal - Chroniques italiennes, I, 1929, éd. Martineau.djvu/142

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félicité que j’eusse jamais pu rêver. Tu étais déjà dans mes bras et sans défense, souviens-t’en ; ta bouche même n’osait refuser. À ce moment l’Ave Maria du matin sonna au couvent du Monte Cavi, et, par un hasard miraculeux, ce son parvint jusqu’à nous. Tu me dis : Fais ce sacrifice à la sainte Madone, cette mère de toute pureté. J’avais déjà, depuis un instant, l’idée de ce sacrifice suprême, le seul réel que j’eusse jamais eu l’occasion de te faire. Je trouvai singulier que la même idée te fût apparue. Le son lointain de cet Ave Maria me toucha, je l’avoue ; je t’accordai ta demande. Le sacrifice ne fut pas en entier pour toi ; je crus mettre notre union future sous la protection de la Madone. Alors je pensais que les obstacles viendraient non de toi, perfide, mais de ta riche et noble famille. S’il n’y avait pas eu quelque intervention surnaturelle, comment cet Angelus fût-il parvenu de si loin jusqu’à nous, par-dessus les sommets des arbres d’une moitié de la forêt, agités en ce moment par la brise du matin ? Alors, tu t’en souviens, tu te mis à mes genoux ; je me levai, je sortis de mon sein la croix que j’y porte, et tu juras sur cette croix, qui est là devant moi, et sur ta damnation éternelle, qu’en quelque lieu que tu pusses jamais te trouver, que quelque événement qui pût jamais arriver, aus-