Page:Stendhal - De l’amour, II, 1927, éd. Martineau.djvu/354

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mais, s’il n’eût pas eu un livre, il en eût souhaité un. Enfin, à son inexprimable plaisir, vers les trois heures, il vit Ernestine s’avancer lentement vers l’allée de platanes sur le bord du lac ; il la vit prendre la direction de la chaussée, coiffée d’un grand chapeau de paille d’Italie. Elle s’approcha de l’arbre fatal ; son air était abattu. Avec le secours de sa lunette, il s’assura parfaitement de l’air abattu. Il la vit prendre les deux bouquets qu’il y avait placés le matin, les mettre dans son mouchoir et disparaître en courant avec la rapidité de l’éclair. Ce trait fort simple acheva la conquête de son cœur. Cette action fut si vive, si prompte, qu’il n’eut pas le temps de voir si Ernestine avait conservé l’air triste ou si la joie brillait dans ses yeux. Que devait-il penser de cette démarche singulière ? Allait-elle montrer les deux bouquets à sa gouvernante ? Dans ce cas, Ernestine n’était qu’une enfant, et lui plus enfant qu’elle de s’occuper à ce point d’une petite fille. « Heureusement, se dit-il, elle ne sait pas mon nom ; moi seul je sais ma folie, et je m’en suis pardonné bien d’autres. »

Philippe quitta d’un air très froid son réduit, et alla, tout pensif, chercher son cheval, qu’il avait laissé chez un paysan à une demi-lieue de là. « Il faut convenir