Page:Stendhal - La Chartreuse de Parme, I, 1927, éd. Martineau.djvu/128

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prit de la main gauche le fourreau de son sabre droit, et dit aux quatre Français :

— Ces gens qui se sauvent sur la grande route ont l’air d’un troupeau de moutons… ils marchent comme des moutons effrayés…

Fabrice avait beau appuyer sur le mot mouton, ses camarades ne se souvenaient plus d’avoir été fâchés par ce mot une heure auparavant. Ici se trahit un des contrastes des caractères italien et français ; le Français est sans doute le plus heureux, il glisse sur les événements de la vie et ne garde pas rancune.

Nous ne cacherons point que Fabrice fut très-satisfait de sa personne après avoir parlé des moutons. On marchait en faisant la petite conversation. À deux lieues de là le caporal, toujours fort étonné de ne point voir la cavalerie ennemie, dit à Fabrice :

— Vous êtes notre cavalerie, galopez vers cette ferme sur ce petit tertre, demandez au paysan s’il veut nous vendre à déjeuner, dites bien que nous ne sommes que cinq. S’il hésite donnez-lui cinq francs d’avance de votre argent ; mais soyez tranquille, nous reprendrons la pièce blanche après le déjeuner.

Fabrice regarda le caporal, il vit en lui une gravité imperturbable, et vraiment l’air de la supériorité morale ; il obéit.