Page:Stendhal - La Chartreuse de Parme, I, 1927, éd. Martineau.djvu/303

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

je puis la mépriser, mais enfin elle a changé ma destinée. Que devenais-je une fois relégué à Novare et n’étant presque que souffert chez l’homme d’affaires de mon père, si ma tante n’avait fait l’amour avec un ministre puissant ? si cette tante se fût trouvée n’avoir qu’une âme sèche et commune au lieu de cette âme tendre et passionnée et qui m’aime avec une sorte d’enthousiasme qui m’étonne ? où en serais-je maintenant si la duchesse avait eu l’âme de son frère le marquis del Dongo ?

Accablé par ces souvenirs cruels, Fabrice ne marchait plus que d’un pas incertain ; il parvint au bord du fossé précisément vis-à-vis la magnifique façade du château. Ce fut à peine s’il jeta un regard sur ce grand édifice noirci par le temps. Le noble langage de l’architecture le trouva insensible ; le souvenir de son frère et de son père fermait son âme à toute sensation de beauté, il n’était attentif qu’à se tenir sur ses gardes en présence d’ennemis hypocrites et dangereux. Il regarda un instant, mais avec un dégoût marqué, la petite fenêtre de la chambre qu’il occupait avant 1815 au troisième étage. Le caractère de son père avait dépouillé de tout charme les souvenirs de la première enfance. Je n’y suis pas rentré, pensa-t-il,