Page:Stendhal - La Chartreuse de Parme, I, 1927, éd. Martineau.djvu/87

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façon à te forcer de répondre, dis que tu es resté malade chez un paysan qui t’a recueilli par charité comme tu tremblais la fièvre dans un fossé de la route. Si l’on n’est pas satisfait de cette réponse, ajoute que tu vas rejoindre ton régiment. On t’arrêtera peut-être à cause de ton accent : alors dis que tu es né en Piémont, que tu es un conscrit resté en France l’année passée, etc., etc.

Pour la première fois, après trente-trois jours de fureur, Fabrice comprit le fin mot de tout ce qui lui arrivait. On le prenait pour un espion. Il raisonna avec la geôlière, qui, ce matin-là, était fort tendre et enfin, tandis qu’armée d’une aiguille elle rétrécissait les habits du hussard, il raconta son histoire bien clairement à cette femme étonnée. Elle y crut un instant ; il avait l’air si naïf, et il était si joli habillé en hussard !

— Puisque tu as tant de bonne volonté pour te battre, lui dit-elle enfin à demi persuadée, il fallait donc en arrivant à Paris t’engager dans un régiment. En payant à boire à un maréchal-des-logis, ton affaire était faite ! La geôlière ajouta beaucoup de bons avis pour l’avenir, et enfin, à la petite pointe du jour, mit Fabrice hors de chez elle, après lui avoir fait jurer cent et cent fois que jamais il