Page:Stendhal - La Chartreuse de Parme - T1.djvu/123

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nom d’être un grand seigneur, noble, généreux, protecteur de la justice, destiné d’avance à se trouver à la tête de son ordre… et dans toute sa vie ne faisant qu’une coquinerie, mais celle-là fort utile.

— Ainsi voilà toutes mes illusions à vau-l’eau disait Fabrice en soupirant profondément lé sacrifice est cruel ! je l’avoue, je n’avais pas réfléchi à cette horreur pour l’enthousiasme et l’esprit, même exercés à leur profit, qui désormais va régner parmi les souverains absolus.

— Songe qu’une proclamation, qu’un caprice du cœur précipite l’homme enthousiaste dans le parti contraire à celui qu’il a servi toute la vie ! — Moi enthousiaste ! répéta Fabrice ; étrange accusation ! je ne puis pas même être amoureux !

— Comment ? s’écria la duchesse.

— Quand j’ai l’honneur de faire la cour à une beauté, même de bonne naissance, et dévote, je ne puis penser à elle que quand je la vois.

Cet aveu fit une étrange impression sur la duchesse.

— Je te demande un mois, reprit Fabrice, pour prendre congé de Mme C. de Novare et, ce qui est encore plus difficile, des châteaux en Espagne de toute ma vie. J’écrirai à ma mère, qui sera assez bonne pour venir me voir à Belgirate, sur la rive piémontaise du lac Majeur, et le trente et unième jour après celui-ci, je serai incognito dans Parme.

— Garde-t’en bien ! s’écria la duchesse.

Elle ne voulait pas que le comte Mosca la vît parler à Fabrice.

Les mêmes personnages se revirent à Plaisance ; la duchesse cette fois était fort agitée ; un orage s’était élevé à la cour ; le parti de la marquise Raversi touchait au triomphe, il était possible que le comte Mosca fût remplacé par le général Fabio Conti, chef de ce qu’on appelait à Parme le parti libéral. Excepté le nom du rival qui croissait dans la faveur du prince, la duchesse dit tout à Fabrice. Elle discuta de nouveau les chances de son avenir, même avec la perspective de manquer de la toute-puissante protection du comte.

— Je vais passer trois ans à l’Académie ecclésiastique de Naples, s’écria Fabrice ; mais puisque je dois être avant tout un jeune gentilhomme, et que tu ne m’astreins pas à mener la vie sévère d’un séminariste vertueux, ce séjour à Naples ne m’effraie nullement, cette vie-là vaudra bien celle de Romagnano ; la bonne compagnie de l’endroit commençait à me trouver jacobin. Dans mon exil j’ai découvert que je ne sais rien, pas même le latin, pas même l’orthographe. J’avais le projet de refaire mon éducation à Novare, j’étudierai volontiers la théologie à Naples ; c’est une science compliquée.

La duchesse fut ravie.

— Si nous