Page:Stendhal - La Chartreuse de Parme - T1.djvu/199

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notre héros se livra à l’enfantillage de passer beaucoup trop souvent devant le palais Tanari, que le comte M*** avait loué pour la Fausta.

Un jour, vers la tombée de la nuit, Fabrice, cherchant à se faire apercevoir de la Fausta, fut salué par des éclats de rire fort marqués lancés par les buli du comte, qui se trouvaient sur la porte du palais Tanari. Il courut chez lui, prit de bonnes armes et repassa devant ce palais. La Fausta, cachée derrière ses persiennes, attendait ce retour, et lui en tint compte. M ***, jaloux de toute la terre, devint spécialement jaloux de M. Joseph Bossi, et s’emporta en propos ridicules ; sur quoi tous les matins notre héros lui faisait parvenir une lettre qui ne contenait que ces mots :

M. Joseph Bossi détruit les insectes incommodes, et loge au Pelegrino, via Larga, n 79.

Le comte M ***, accoutumé aux respects que lui assuraient en tous lieux son énorme fortune, son sang bleu et la bravoure de ses trente domestiques, ne voulut point entendre le langage de ce petit billet.

Fabrice en écrivait d’autres à la Fausta ; M *** mit des espions autour de ce rival, qui peut-être ne déplaisait pas ; d’abord il apprit son véritable nom, et ensuite que pour le moment il ne pouvait se montrer à Parme. Peu de jours après, le comte M ***, ses buli, ses magnifiques chevaux et la Fausta partirent pour Parme.

Fabrice, piqué au jeu, les suivit le lendemain. Ce fut en vain que le bon Ludovic fit des remontrances pathétiques ; Fabrice l’envoya promener, et Ludovic, fort brave lui-même, l’admira ; d’ailleurs ce voyage le rapprochait de la jolie maîtresse qu’il avait a Casal Maggiore. Par les soins de Ludovic, huit ou dix anciens soldats des régiments de Napoléon entrèrent chez M. Joseph Bossi, sous le nom de domestiques. « Pourvu, se dit Fabrice en faisant la folie de suivre la Fausta, que je n’aie aucune communication ni avec le ministre de la police, comte Mosca, ni avec la duchesse, je n’expose que moi. Je dirai plus tard à ma tante que j’allais à la recherche de l’amour, cette belle chose que je n’ai jamais rencontrée. Le fait est que je pense à la Fausta, même quand je ne la vois pas… Mais est-ce le souvenir de sa voix que j’aime, ou sa personne ? » Ne songeant plus à la carrière ecclésiastique, Fabrice avait arboré des moustaches et des favoris presque aussi terribles que ceux du comte M ***, ce qui le déguisait un peu. Il établit son quartier général non à Parme, c’eût été trop imprudent, mais dans un village des environs, au milieu des bois, sur la route de Sacca, où était le château de sa tante. D’après les conseils de Ludovic, il s’annonça dans ce village comme le valet de chambre d’un grand seigneur anglais fort original, qui dépensait cent mille francs par an pour se donner le plaisir de la chasse, et qui arriverait sous peu du lac de Côme, où