Page:Stendhal - La Chartreuse de Parme - T1.djvu/209

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je n’ai pas même pu parler à ma belle. » Il se hâta d’écrire des lettres d’excuse au comte et à la duchesse, lettres prudentes, et qui, en peignant ce qui se passait dans son cœur, ne pouvaient rien apprendre à un ennemi. « J’étais amoureux de l’amour, disait-il à la duchesse ; j’ai fait tout au monde pour le connaître, mais il paraît que la nature m’a refusé un cœur pour aimer et être mélancolique ; je ne puis m’élever plus haut que le vulgaire plaisir, etc. »

On ne saurait donner l’idée du bruit que cette aventure fit dans Parme. Le mystère excitait la curiosité : une infinité de gens avaient vu les flambeaux et la chaise à porteurs. Mais quel était cet homme enlevé et envers lequel on affectait toutes les formes du respect ? Le lendemain aucun personnage connu ne manqua dans la ville.

Le petit peuple qui habitait la rue d’où le prisonnier s’était échappé disait bien avoir vu un cadavre, mais au grand jour, lorsque les habitants osèrent sortir de leurs maisons, ils ne trouvèrent d’autres traces du combat que beaucoup de sang répandu sur le pavé. Plus de vingt mille curieux’vinrent visiter la rue dans la journée. Les villes d’Italie sont accoutumées à des spectacles singuliers, mais toujours elles savent le pourquoi et le comment. Ce qui choqua Parme dans cette occurrence, ce fut que même un mois après, quand on cessa de parler uniquement de la promenade aux flambeaux, personne, grâce à la prudence du comte Mosca n’avait pu deviner le nom du rival qui avait voulu enlever la Fausta au comte M ***. Cet amant jaloux et vindicatif avait pris la fuite dès le commencement de la promenade. Par ordre du comte, la Fausta fut mise à la citadelle. La duchesse rit beaucoup d’une petite injustice que le comte dut se permettre pour arrêter tout à fait la curiosité du prince, qui autrement eût pu arriver jusqu’au nom de Fabrice.

On voyait à Parme un savant homme arrivé du nord pour écrire une histoire du moyen âge ; il cherchait des manuscrits dans les bibliothèques, et le comte lui avait donné toutes les autorisations possibles. Mais ce savant, fort jeune encore, se montrait irascible ; il croyait, par exemple, que tout le monde à Parme cherchait à se moquer de lui. Il est vrai que les gamins des rues le suivaient quelquefois à cause d’une immense chevelure rouge clair étalée avec orgueil. Ce savant croyait qu’à l’auberge on lui demanderait des prix exagérés de toutes choses, et il ne payait pas la moindre bagatelle sans en chercher le prix dans le voyage d’une Mme Starke qui est arrivé à une vingtième édition’, parce qu’il indique à l’Anglais prudent le prix d’un dindon, d’une pomme, d’un verre de lait, etc.

Le savant à la crinière rouge, le soir même du jour où Fabrice fit cette promenade forcée, devint furieux à son auberge, et