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STENDHAL

fection grecque lui sembla toujours un « peu niaise «), mais « celle qui n’est la copie de rien au monde », celle qui donne aux yeux « une sensation absolument neuve ». C’est à rechercher ou à retrouver cette sensation-là qu’il employa les plus chers moments de sa vie.

Sa dévotion à l’Italie exprime et résume ces goûts divers. Entendons l’Italie telle qu’il croyait la voir, et non pas seulement telle qu’il la voyait ; car il est hors de doute que pour Beyle, comme l’Allemagne pour Mme de Staël, l’Italie fut un idéal autant qu’une réalité. Il l’a aimée d’abord, on s’y attendait bien, pour les Italiennes, pour Mme Gherardi, pour Mme Pasta, pour la Pietragrua, pour Mathilde, pour toutes celles qu’il incarne dans sa duchesse Sanseverina. Il l’a aimée d’avoir été une terre d’énergie, ardente au temps des Sforce, des Borgia et de Benvenuto Cellini. Il l’a aimée d’être restée une terre de joie, d’art, de loisir, de dolce farniente, ce qui est encore une façon de secouer le joug et d’affirmer les droits de la fantaisie. Il reprochait à Paris ses vanités, ses bienséances, son abus de l’esprit et sa peur du ridicule, — un mal dont il souffrait, à vrai dire, comme le plus caractérisé des Parisiens. Il a raillé la molle vertu allemande. Il haïssait la respectabilité genevoise ou britannique, comme il haït le catholicisme douteux de la France des ultras. On a beaucoup parlé de son cosmopolitisme. Et il est certain qu’il se plaisait à voir du pays et qu’il fut — il a popularisé le mot — un touriste fervent. Mais l’Italie seule l’attacha. Loin d’elle, il lui rapportait tout. Il goûte médiocrement Delacroix parce qu’il chérit trop le Corrège ; insensible à Weber, à Beethoven, il est fou de Cimarosa et de Rossini. Après être passé à Landshut, il écrit : « Cette ville fit sur moi l’impression de l’Italie. J’y vis en une demi-heure cinq à six figures de femmes d’un ovale beaucoup plus parfait qu’il n’appartient à l’Allemagne. » Et nous lisons dans Rome, Naples et Florence (qui devrait, pour bien faire, s’appeler aussi Bologne et Milan) : « Quand je suis avec des Milanais et que je parle milanais, j’oublie que les hommes sont méchants, et toute la partie méchante de mon âme s’endort à l’instant. » Notation trop précise pour n’être pas profondément sincère ! Milanais, il l’était de cœur, celui qui dès 1820 demandait qu’on inscrivît sur sa pierre tombale : Arrigo Beyle, Milanese.