Page:Stendhal - La Chartreuse de Parme - T1.djvu/73

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en cessant de le tutoyer ; c’est pour votre bien que je vous fais des questions. Qui êtes-vous, là, réellement ?

Fabrice ne répondit pas d’abord ; il considérait que jamais il ne pourrait trouver d’amis plus dévoués pour leur demander conseil, et il avait un pressant besoin de conseils. « Nous allons entrer dans une place de guerre, le gouverneur voudra savoir qui je suis, et gare l’a prison si je fais voir par mes réponses que je ne connais personne au 4e régiment de hussards dont je porte l’uniforme ! » En sa qualité de sujet de l’Autriche Fabrice savait toute l’importance qu’il faut attacher à un passeport. Les membres de sa famille quoique nobles et dévots, quoique appartenant au parti vainqueur, avaient été vexés plus de vingt fois à l’occasion de leurs passeports ; il ne fut donc nullement choqué de la question que lui adressait la cantinière. Mais comme, avant que de répondre, il cherchait les mots français les plus clairs, la cantinière, piquée d’une vive curiosité, ajouta pour l’engager à parler :

— Le caporal Aubry et moi nous allons vous donner de bons avis pour vous conduire.

— Je n’en doute pas, répondit Fabrice : je m’appelle Vasi et je suis de Gênes ; ma sœur, célèbre par sa beauté, a épousé un capitaine. Comme je n’ai que dix-sept ans, elle me faisait venir auprès d’elle pour me faire voir la France, et me former un peu ; ne la trouvant pas à Paris et sachant qu’elle était à cette armée, j’y suis venu, je l’ai cherchée de tous les côtés sans pouvoir la trouver. Les soldats, étonnés de mon accent, m’ont fait arrêter. J’avais de l’argent alors, j’en ai donné au gendarme, qui m’a remis une feuille de route, un uniforme et m’a dit : « File, et jure-moi de ne Jamais prononcer mon nom. »

— Comment s’appelait-il ? dit la cantinière.

— J’ai donné ma parole, dit Fabrice. — Il a raison, reprit le caporal, le gendarme est un gredin, mais le camarade ne doit pas le nommer. Et comment s’appelle-t-il, ce capitaine, mari de votre sœur ? Si nous savons son nom, nous pourrons le chercher.

— Teulier, capitaine au 4c de hussards, répondit notre héros.

— Ainsi, dit le caporal avec assez de finesse, à votre accent étranger, les soldats vous prirent pour un espion ?

— C’est là le mot infâme ! s’écria Fabrice, les yeux brillants. Moi qui aime tant l’Empereur et les Français ! Et c’est par cette insulte que je suis le plus vexé.

— Il n’y a pas d’insulte, voilà ce qui vous trompe ; l’erreur des soldats était fort naturelle, reprit gravement le caporal Aubry.

Alors il lui expliqua avec beaucoup de pédanterie qu’à l’armée il faut appartenir à un corps et porter un uniforme, faute de quoi il est tout simple qu’on vous prenne pour un espion. L’ennemi