Page:Stendhal - La Chartreuse de Parme - T1.djvu/94

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par des allusions répétées à quelque chose d’héroïque, de hardi, de dangereux au suprême degré, qu’il avait fait depuis peu ; mais, malgré toute son intelligence, la jeune Clélia ne put deviner de quoi il s’agissait.

Elle regardait avec étonnement ce jeune héros dont les yeux semblaient respirer encore tout le feu de l’action. Pour lui, il était un peu interdit de la beauté si singulière de cette jeune fille de douze ans. et ses regards la faisaient rougir.

Une lieue avant d’arriver à Milan, Fabrice dit qu’il allait voir son oncle et prit congé des dames.

— Si jamais je me tiré d’affaire, dit-il à Clélia, j’irai voir les beaux tableaux de Parme, et alors daignerez-vous vous rappeler ce nom : Fabrice del Dongo ?

— Bon ! dit la comtesse, voilà comme tu sais garder l’incognito ! Mademoiselle, daignez vous rappeler que ce mauvais sujet est mon fils et s’appelle Pietranera et non del Dongo.

Le soir, fort tard, Fabrice rentra dans Milan par la porte Renza, qui conduit à une promenade à la mode. L’envoi des deux domestiques en Suisse avait épuisé les fort petites économies de la marquise et de sa sœur, par bonheur, Fabrice avait encore quelques napoléons, et l’un des diamants, qu’on résolut de vendre.

Ces dames étaient aimées et connaissaient toute la ville ; les personnages les plus considérables dans le parti autrichien et dévot allèrent parler en faveur de Fabrice au baron Binder, chef de la police. Ces messieurs ne concevaient pas, disaient-ils, comment l’on pouvait prendre au sérieux l’incartade d’un enfant de seize ans qui se dispute avec un frère aîné et déserte la maison paternelle.

— Mon métier est de tout prendre au sérieux, répondait doucement le baron Binder, homme sage et triste.

Il établissait alors cette fameuse police de Milan, et s’était engagé à prévenir une révolution comme celle de 1746, qui chassa les Autrichiens de Gênes. Cette police de Milan, devenue depuis si célèbre par les aventures de MM. Pellico et d’Andryane, ne fut pas précisément cruelle, elle exécutait raisonnablement et sans pitié des lois sévères. L’empereur François II voulait qu’on frappât de terreurs ces imaginations italiennes si hardies.

— Donnez-moi jour par jour, répétait le baron Binder aux protecteurs de Fabrice, l’indication prouvée de ce qu’a fait le jeune marchesino del Dongo ; prenons-le depuis le moment de son départ de Grianta, 8 mars, jusqu’à son arrivée, hier soir, dans cette ville, où il s’est caché dans une des chambres de l’appartement de sa mère, et je suis prêt à le traiter comme le plus aimable et le plus espiègle des jeunes gens de la ville. Si vous ne pouvez pas me fournir l’itinéraire du jeune homme pendant